Avec Louis-Marie Kakdeu
Un vrai moment de fête pour ce gouvernement en manque d’inspiration. Un bon indicateur de la rareté de bonnes nouvelles dans cet océan de misères où l’inflation annuelle avoisine les 10% depuis plus de 30 ans. Un bon signe qui montre comment le Ministre du Commerce ignore ses missions, se faisant souvent passer uniquement pour Ministre des commerçants. Voici ci-dessous trois mesures qu’un bon Gouvernement pouvait prendre avec effet immédiat pour contrer de façon durable la vie chère au Cameroun :
Lutter contre les pertes post-récoltes
L’on enregistre officiellement 43% de pertes post-récoltes au Cameroun depuis bientôt une décennie. Cela signifie que près de la moitié de la production agricole du pays pourrit bord champ. L’action de ramener toute cette production sur le marché garantirait l’augmentation automatique de l’offre et donc, la baisse généralisée des prix. A ce moment-là, un Ministre du Commerce n’aurait pas assez d’énergie pour annoncer la baisse des prix de chaque produit.
En effet, l’économie camerounaise est orientée produit jusqu’ici. Cela signifie que bon nombre de producteurs se lancent dans l’activité sans avoir la garantie du marché ; les gens produisent d’abord avant de chercher le marché après. En 2024, la personne qui fait une tonne de piment, de citron, d’ananas, de tomates, de pastèques, de manioc, etc., risque de manquer de marché. Les produits agricoles étant périssables, près de la moitié des récoltes pourrissent au champ ou même sur les marchés. Le spectacle des producteurs de tomate qui se promènent dans nos quartiers pour brader leurs produits est légion. Il s’agit-là de nos jeunes agriculteurs qui retournent dans leurs bassins de production découragés et désillusionnés par l’absence de marché. La situation réelle est que certains abandonnent l’activité, contribuant ainsi à accentuer la situation de sous-production chronique du pays.
Le ministère du commerce dispose des moyens techniques, financiers et matériels pour identifier les producteurs et les connecter aux vrais marchés. Par exemple, le ministre du commerce peut généraliser l’organisation des bourses agricoles (ventes groupées) qui ont montré leurs preuves dans le secteur du cacao où les prix s’envolent favorablement. Pourquoi ? Parce qu’en même temps que ces producteurs se découragent devant leurs produits qui pourrissent, vous avez des acheteurs qui manquent de fournisseurs. Par exemple, vous avez de nos jours des producteurs de farines locales qui manquent d’acheteurs alors que les boulangers de leur côté manquent de fournisseurs. L’organisation périodique d’une bourse agricole dans les bassins de production permettra de résoudre ce problème et de stabiliser le marché. Il s’agit tout simplement de faire la promotion des lieux de production d’une part et des lieux de vente d’autre part. Mieux, le ministère du commerce pourrait le faire en ligne à travers la création et l’animation d’une plateforme électronique (online market) où d’un côté les producteurs viennent faire leurs offres (même avant la production) et de l’autre côté, les acheteurs viennent déposer leurs commandes (même à venir). De nos jours, l’économie est orientée marché et c’est vers ce modèle qu’il faut aller au Cameroun afin de combler les déficits de production.
Subventionner l’agriculture plutôt sous forme de prime à la production
Le ministère en charge de l’agriculture dispose depuis quelques années d’environ 119 milliards de Fcfa de budget annuel sans compter une enveloppe plus importante qui arrive sous forme de projets (plus d’une centaine de projets repartis comme des gâteaux à 13 ministres). Le pays dispose des projets dont l’enveloppe avoisine ou dépasse les 50 ou 65 milliards de Fcfa et qui finissent sans impact. Par exemple, le projet Paca avait pour vocation de produire le riz. Ce projet a été clôturé en 2015 et l’argent a été dilapidé. Il est impossible en 2024 de montrer un seul bénéficiaire qui continue la production. 40 milliards en fumée. Je peux parler du projet Pidma (50 milliards en fumée) ou encore d’Agropole (usine à gaz encore en cours). Véritables arnaques sur le dos des producteurs. Il est temps d’arrêter la saignée. Il faut faire autrement.
Le Cameroun dispose d’après le recensement de 2005 (20 ans en arrière) de 3 millions d’exploitations familiales. Ce sont ces exploitations familiales qui fournissent les ménages de nos jours. Si vous voulez avoir un impact immédiat sur la consommation des ménages, alors vous ciblez plutôt ces exploitations familiales. Vous leur apportez une subvention au lieu de créer des projets fantômes. Ces exploitations produisent en moyenne un demi-hectare chacune. Si vous les subventionnez pour qu’elles doublent simplement leurs productions (et passent à un hectare chacune), alors vous doublez l’offre sur le marché et agissez durablement sur la baisse des prix. La subvention sous forme de prime à la production signifie que c’est à celui qui produit déjà un demi-hectare que vous donnez une petite subvention pour qu’il produise plus. De nos jours, les procédures administratives nécessaires pour bénéficier des financements agricoles permettent d’éliminer ces vrais producteurs.
Ainsi donc, ce sont des fonctionnaires capables d’écrire et des hommes d’affaires véreux qui créent des organisations fictives en vue de bénéficier des financements agricoles. Ensuite, ils savent fournir des paperasses de justification des actions qui n’ont jamais eu lieu sur le terrain. J’aimerai bien que l’on me montre au Cameroun en 2024 un seul projet agropole en cours de production. Officiellement, 47% de taux de réalisation mais dans la réalité, des dizaines de milliards en fumée. Il convient de changer de modèle si nous aimons ce pays. Il faut adopter le bottom-up et abandonner le top-down actuellement appliqué.
Promouvoir les semences améliorées
Il est impossible d’être efficace lorsque les actions gouvernementales sont cloisonnées. Il y a 13 ministères cloisonnés qui s’occupent de la production au Cameroun sans compter ceux qui s’occupent de la transformation (industrie) et du commerce. Comment pouvons-nous comprendre que le taux d’utilisation des semences améliorées au Cameroun soit de 3% alors que ce matériel végétal et animal est bel et bien disponible à l’Irad ? Comment la Semry peut-elle continuer de produire un riz en décalage avec la demande du marché alors que l’Irad a déjà développé 26 variétés de riz directement utilisables ? Pour que l’on se comprenne bien, le Cameroun dispose par exemple de plus de 300 variétés traditionnelles de manioc. Le problème est qu’il faut attendre entre 18 et 24 mois pour que ces variétés produisent au trop 5 tonnes à l’hectare. C’est ce que l’on fait aujourd’hui dans les ministères en charge de la production alors qu’au ministère de la recherche scientifique, vous avez des variétés qui produisent jusqu’à 40 tonnes à l’hectare en moins de 12 mois. Vous avez même des variétés de 6 mois. Cela veut dire qu’en généralisant les variétés améliorées et en maintenant le même niveau de travail à travers le pays (sans efforts supplémentaires), l’on multiplie la production par 8 et donc, inverse durablement la courbe des prix sur le marché.
En gros, je veux dire que tout existe. Il manque juste un peu d’imagination et de volonté politique au gouvernement. Je ne parle pas du taux de mécanisation qui est simplement de 2% depuis plus de 25 ans malgré l’existence du Ceenema.
A ces mesures, il faut simplement s’occuper de façon transversale de la structuration des producteurs qui pourrait aboutir à la création et à l’animation des clusters de production susceptibles de livrer les industries. Ce sera l’objet d’une prochaine réflexion que je vous proposerai dans les jours à venir en vue de la promotion de la production en masse à court terme.
Ensuite, l’on pourrait prendre des mesures à moyen terme et à long terme. L’ensemble de toutes ces mesures peut se trouver normalement dans une stratégie nationale du conseil agricole. Le Cameroun n’en dispose pas pourtant, un draft avait déjà été proposé au gouvernement depuis des lustres. Allez-y chercher pourquoi ! Le Cameroun c’est le Cameroun, a-t-on coutume de dire. Sauf que ça nous cale désormais à la gorge. A nous de voir !
Louis-Marie Kakdeu, HDR
Deuxième Vice-Président National du SDF