Par Sandra Embollo
Un rapport sur la Louisiane, publié mardi 19 mars, montre comment les interdictions de l’Ivg affectent les femmes enceintes. Quatre organisations, dont le Centre pour les droits reproductifs et Physicians for Human Rights (Médecins pour les droits humains), ont mené de mai à novembre 2023 une enquête auprès de praticiens et de patientes dans cet État conservateur du Sud des États-Unis, l’un des plus restrictifs en matière d’interruption volontaire de grossesse.
La Louisiane interdit quasiment tous les avortements depuis que la Cour suprême des États-Unis a annulé la garantie fédérale à l’IVG à l’été 2022. La question de l’avortement doit fortement peser sur la présidentielle de novembre, qui devrait sauf surprise opposer le démocrate Joe Biden au républicain Donald Trump.
Dans leur rapport, les organisations avertissent que les exceptions prévues pour l’avortement en Louisiane sont “étroites et mal définies” et qu’elles provoquent “peur” et “confusion” chez les patientes comme chez leurs médecins. “La menace de mesures punitives contre les cliniciens sape la qualité des soins (…) et mine leur capacité à user de leur jugement médical”, dénonce le texte.
L’un des spécialistes interrogés raconte ainsi qu’une patiente présentant un problème cardiaque, aggravé par sa grossesse, a dû rester enceinte et essayer plusieurs traitements avant que les médecins n’osent évoquer l’option d’un avortement. Or, “elle était très malade (…). Et je me disais ‘Et si elle ne veut pas attendre aussi longtemps parce qu’elle pourrait avoir une crise cardiaque et mourir ?’ Je ne sais pas. Quand pouvez-vous agir ? Combien de médicaments doivent échouer ?”, a-t-il dit, cité dans l’étude.
Césarienne
Une autre conséquence pour certaines femmes enceintes a été de se voir refuser un examen pendant les 12 premières semaines de leur grossesse, “lorsque les fausses couches sont plus fréquentes”, selon le texte, des établissements craignant de devoir gérer un problème de santé qui nécessiterait un avortement et de s’exposer à des poursuites.
Une femme enceinte ayant eu des fausses couches par le passé raconte dans le rapport avoir tenté de prendre rendez-vous auprès de plusieurs médecins, sans succès. “Quand j’ai demandé pourquoi (…), (on) m’a dit sans détour ‘l’interdiction de l’avortement est nouvelle. On cherche encore comment s’y adapter'”, a-t-elle décrit. Pourtant les examens pendant le premier trimestre peuvent être cruciaux, notamment pour détecter des anomalies.
Autre conséquence encore plus frappante : citant des praticiens, le rapport affirme que dans certains cas de complications potentiellement mortelles, “si un avortement est pratiqué, les cliniciens ont plus fréquemment recours à (…) une césarienne, une chirurgie invasive utilisée pour accoucher d’un fœtus ou d’un bébé par incision abdominale”, au lieu d’une Ivg classique. Et ce afin d’éviter toute suspicion d’avortement, a affirmé un médecin urgentiste cité dans l’étude.
Les praticiens “ont l’impression qu’ils abandonnent leurs patientes”, dit à l’Afp Michele Heisler, co-auteure du texte qui a mené plusieurs interviews. “On les oblige à ne pas être en mesure de remplir leurs obligations en matière de médecine, d’éthique et de droits humains”. Car s’ils sont poursuivis, ils risquent jusqu’à 10 à 15 ans de prison et jusqu’à 100 000 à 200 000 dollars d’amendes. Et “la Louisiane est un État où même avant” la décision de la Cour suprême, “il y avait beaucoup d’intimidation”, ajoute la Dr Heisler, elle-même professeure en médecine.
Résumant les recommandations du rapport, Karla Torres, du Centre pour les droits reproductifs, exhorte les autorités de Louisiane à “remplir d’urgence leurs obligations en matière de droits humains en abrogeant les interdictions d’avorter dans l’État”. “Ces restrictions ne sont pas tenables”, renchérit Michele Heisler. Déjà, “beaucoup des cliniciens à qui nous avons parlé envisagent de quitter l’État”.