Par Serge Aimé Bikoi
En effet, dès la survenue de ce coup de force le 30 août dernier, l’on envisageait soit une rupture totale, soit une rupture dans la continuité en fonction du positionnement d’un homme de paille, d’un homme charismatique au sens weberien du terme ou encore en fonction du caractère atone ou décisif des populations Comme qui dirait, les leaders, dans toute société, sont le produit d’une construction politique. Ceci étant, les pays ont les dirigeants qu’ils méritent. Nous avons affaire, en Afrique noire francophone et centrale, à une population paresseuse dans le sens citoyen, une population qui a du mal à s’approprier sa destinée. Comment voulez-vous que cette même population ait des leaders qui s’inscrivent en rupture où qui prôneraient une révolution par rapport à l’ordre ancien? Dans la sous-région, les verrous de contre-pouvoir ne fonctionnent pas normalement, les leaders ne sont qu’à l’image d’une population, c’est-à-dire une population qui est portée vers le jouissif, vers le folklorique, vers le festif, vers la catharsis et vers l’abandon de la chose politique surtout dans un contexte de dépolitisation et de répression des masses populaires. Dans cette perspective, il est donc évident que les leaders en place puissent être à la solde des puissants, des colons et, par corollaire, à la solde acteurs des dynamiques du dehors pour reprendre Georges Balandier.
Il revient donc aux populations locales de s’approprier le pouvoir, de peser sur une transition gabonaise de telle sorte que la continuité du jeu soit en leur faveur. Mais si elles restent atones ou attentistes comme elles l’ont toujours été jusqu’ici, il est probable que l’élite militaire, que la junte qui tient, désormais, le pouvoir puisse prendre des orientations qui seraient petitement dans le sens des aspirations des masses populaires. C’est d’ailleurs ce qui se passe en ce moment où l’on se rend compte que c’est un homme de paille que l’on a positionné à la tête du Gabon comme président de la transition, à savoir le Général Brice Clotaire Oligui Ngema, cousin de l’autre, dont la prestation de serment est prévue ce lundi, 4 septembre 2023.
Entre-temps, l’opposition exhorte les putschistes à reconnaître la “victoire” de son candidat à la présidentielle. L’opposant, Albert Ondo Ossa, a affirmé, hier, que la prise de pouvoir des militaires était “une révolution de palais”, qui maintient en place le système Bongo. Tout compte fait, il n’y a rien à espérer des militaires qui sont, a posteriori, dans la dynamique du jeu de la continuité dans le statu quo. C’est sur ces entrefaites que les Gabonais, qui se sont réduits à une effervescence et à une allégresse à nulle autre pareille dès l’entame de ce coup de force, devraient plutôt penser à se muer en dynamiques populaires collectives et synergiques de manière à impacter sur le cours de la vie dans leur pays. Mais malencontreusement, il y a une espèce de complaisance dans l’euphorie plutôt que de susciter un réveil fortuit et organiser une potentialité de mutation sociale à la base. Le changement est, certes, lent comme dit Voltaire, mais les racines des préjugés sont profondes. Ce n’est pas décidément après la jactance de 48 heures que ces catégories sociales viendront à la rescousse des forces politiques de l’opposition pour exiger l’érection de Ondo Ossa au pouvoir. Cela aurait pu être pensé depuis des lustres de façon qu’il y ait, dès la proclamation des résultats à 4h du matin, un mouvement massif d’appropriation et de captation populaire en aval. Mais en vain!
Alors, l’enseignement à tirer est que chaque peuple doit découvrir sa mission historique, l’accomplir ou la trahir. Chaque peuple doit, impérativement, travailler à la construction d’une trajectoire historique imbibée de la scénographie de la mobilisation sociale de manière à prendre sa responsabilité à un moment décisif du changement du cours de la vie politique. Sinon, il y a toujours une sorte de mutation de façade, une espèce de transformation factice qui réfère au paradigme du changement dans la continuité, mieux au paradigme du changement dans le statu quo. C’est ce qui se vit au Gabon avec cette espèce de bluff de coup de force. Surtout que le peuple gabonais démontre, de facto, qu’il n’est pas prêt à défendre sa souveraineté. La thèse de bouter hors du kaléidoscope politique gabonais la dynastie Bongo est, au bout du compte, une vaine expression tant un fils de la descendance est hissé au frontispice de l’État de transition. Rien n’a se mettre sous la dent au demeurant. L’on n’est pas loin de la reproduction sociologique dans la continuité. Dommage!