Par Joël Onana
C’était l’étape la plus périlleuse de la révision constitutionnelle promise par le président de la République Emmanuel Macron. Mais malgré la réticence de certains sénateurs de droite, le Sénat a adopté ce mercredi l’inscription dans la Constitution de “la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse” (IVG). Le Sénat a adopté l’article unique, sans modification, par 267 voix pour et 50 voix contre, après plus de trois heures de discussions parfois agitées dans cet hémicycle habituellement très apaisé. Ce vote a été accompagné d’intenses applaudissements dans l’hémicycle.
Le Sénat a écrit une nouvelle page du droit des femmes”, a savouré le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, qui assure que la France serait “le premier pays au monde” à protéger l’avortement dans son texte fondamental.
Face à la remise en cause du droit à l’avortement aux États-Unis et dans certains pays d’Europe, l’exécutif avait fait de cette réforme l’une de ses priorités, aboutissant à un texte de compromis malgré son absence de majorité dans les deux chambres.
Le congrès convoqué lundi 4 mars
L’Assemblée nationale et le Sénat devaient valider la réforme à l’identique, avant la réunion d’un Congrès du Parlement à Versailles où une majorité des trois cinquièmes sera requise pour acter la révision constitutionnelle. Mais cette majorité ne fait aucun doute au vu des votes successifs des deux Assemblées. Ce Congrès est convoqué par Emmanuel Macron ce lundi 4 mars, a annoncé l’Élysée dans la foulée du vote. Sur X, le chef de l’État a salué “un pas décisif”.
Le Congrès n’a été réuni qu’à deux reprises depuis l’arrivée au pouvoir du chef de l’État : en 2017 et 2018, à chaque fois en juillet, le président de la République avait fixé les grandes lignes de sa politique devant la représentation nationale. La dernière révision constitutionnelle, elle, remonte à 2008.
Un Sénat plus dur à convaincre
Après le vote sans difficulté à l’Assemblée, le Sénat a été le plus dur à convaincre : les trois chefs de la majorité sénatoriale – le président du Sénat Gérard Larcher, le président du groupe Les Républicains Bruno Retailleau et celui du groupe centriste Hervé Marseille – étaient en effet opposés à la réforme. Le sénateur Philippe Bas a épinglé le “concept étrange de liberté garantie”. “Une garantie, c’est une obligation. Notre crainte, c’est qu’une jurisprudence créative puisse créer un droit opposable”, a repris le chef de file LR Bruno Retailleau.
Éric Dupond-Moretti a appelé la droite à “ne pas céder à une forme de juridisme qui nous détournerait du principal”, réfutant toute création d’un “droit absolu, sans limite”. L’amendement de suppression du mot “garantie” a finalement été rejeté à plus de 100 voix d’écart, tout comme une autre proposition visant à inscrire dans la Constitution la clause de conscience des professionnels de santé autorisés à refuser de pratiquer une IVG.
De l’aveu général au Sénat, la mobilisation constante des associations et des parlementaires engagés pour la réforme, comme la pression exercée parfois par l’entourage familial, ont fait basculer certains élus dans le camp du “pour”.
“Victoire féministe historique !”
Les défenseurs du texte ont laissé éclater leur joie à l’issue du vote du Sénat. “C’est une victoire féministe historique !, a tweeté ce mercredi la sénatrice écologiste des Français de l’étranger Mélanie Vogel, fervente militante pour cette constitutionnalisation de l’IVG. Cette victoire est avant tout celle des féministes, des associations et des militant·es qui n’ont rien lâché”. La sénatrice, à l’origine de la première proposition de loi sur le sujet, a été ovationnée par ses collègues à la sortie de l’hémicycle.