Par Julie Peh
On l’appelait « Kirikou « . Un surnom tiré d’un dessin animé, qui semblait coller à ce petit gabarit réputé agile et rusé, passé du statut d’infatigable « bensikineur » à celui d’agent municipal craint au carrefour Jouvence. C’est finalement sous son vrai nom que cet homme rejoindra les statistiques des morts violentes : battu à mort par des moto-taximen en colère, laissant un autre collègue entre la vie et le trépas. « Ils venaient pour un certain Yves, mêlé à la mort d’un des leurs. Faute de le trouver, leur vengeance s’est abattue sur les deux premiers venus », témoigne un riverain sous le choc. Un déchaînement de haine qui en dit long sur l’état de tension extrême entre « bensikineurs » et autorités…
Ce meurtre sordide n’est hélas que le énième épisode d’une guerre de longue date qui ensanglante les rues de la capitale. Il y a quelques jours à peine, la mort d’un conducteur de mototaxi tabassé par un agent municipal avait déjà enflammé Yaoundé. « C’est l’escalade des représailles. Les « bensikineurs » veulent venger leurs morts, les « awarawas » ne se laissent pas faire, personne n’écoute personne et le sang coule « , se désespère un responsable d’association de moto-taximen. Un engrenage infernal nourri par la précarité, la défiance envers les autorités et l’impunité qui semble régner en maître. Un cocktail mortel qui transforme les artères de la ville en un véritable champ de bataille.
Mais que font les autorités face à cette folie meurtrière ? Pas grand-chose, à en croire les acteurs du secteur. « On a l’impression que l’État a totalement démissionné, qu’il laisse consciemment pourrir la situation. À part les descentes punitives et la répression aveugle, il n’y a aucune volonté de régler les vrais problèmes », accuse un responsable syndical qui a requis l’anonymat. Formation des agents, encadrement des moto-taxis, lutte contre la corruption : les pistes ne manquent pourtant pas pour tenter de désamorcer le conflit. Mais le pouvoir semble plus prompt à laisser la violence se déchaîner qu’à s’attaquer aux racines du mal. Un constat accablant qui fait le lit des drames à répétition.
Il est plus que temps de crier « stop ! » à la folie meurtrière qui gangrène Yaoundé. L’État doit impérativement reprendre la main pour faire baisser la tension et enclencher un vrai dialogue avec les acteurs du transport urbain. Sans angélisme : il faut punir les criminels et refuser la loi de la jungle. Mais aussi avec lucidité : seule une approche globale, mêlant fermeté, écoute et réponses aux attentes sociales, pourra faire reculer durablement la violence. C’est un véritable pacte de responsabilité entre pouvoirs publics, agents municipaux et transports qui doit voir le jour. Sinon, les « Kirikou » risquent, hélas, de ne pas cesser de tomber sous les coups. Et Yaoundé de sombrer dans un cycle infernal…