Par Eric Boniface Tchouakeu
Réunis en urgence à Abuja au Nigéria le 30 juillet, les dirigeants de 11 des 15 Etats membres de la Cedeao, car le Mali, la Guinée et le Burkina Faso sont suspendus de l’organisation à cause des coups d’état qui ont porté à leurs têtes des régimes militaires, ont également décidé de la suspension du Niger qui n’était pas représenté. La Cedeao a aussi imposé de lourdes sanctions économiques à ce pays et donné une semaine aux putschistes pour rétablir dans ses fonctions le Président Mohamed Bazoum, démocratiquement élu en mars 2021, et qui jusqu’à ce jour est toujours retenu contre son gré par les nouvelles autorités du Niger qui ont exclu un retour en arrière.
L’organisation sous régionale a même brandi la menace d’une intervention militaire pour déloger du pouvoir le Général Abdourahamane Tchiani, Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (Cnsp), nouvel homme fort de Niamey.
Depuis, cette menace d’intervention militaire suscite de nombreuses réactions notamment au sein de l’opinion publique africaine et de nombreux Etats.
Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, pour des raisons évidentes de solidarité, ont apporté leur soutien aux nouvelles autorités nigériennes. Les deux premiers pays cités sont même allés plus loin en déclarant qu’ils considèreront comme une déclaration de guerre à leur endroit, toute opération militaire de la Cedeao au Niger.
De son côté, l’Algérie, Etat frontalier du Niger est opposée à toute intervention militaire étrangère dans ce pays, car cela constituerait selon Alger, une grave menace pour sa propre sécurité.
Dans des pays qui ont déclaré qu’ils enverraient des troupes sous la bannière de la Cedeao pour restaurer la démocratie au Niger si l’organisation décidait finalement ainsi, il n’y a pas de consensus à l’intérieur même de certains parmi eux pour cette éventualité. C’est notamment le cas au Sénégal ou encore au Nigéria.
Au Nigéria par exemple, leader naturel de la Cedeao sur plusieurs plans, et qui partage une longue frontière avec le Niger, plusieurs sénateurs et gouverneurs des Etats du nord sont opposés à une éventuelle participation de l’armée de leur pays à une opération contre le Niger. Selon ces derniers, les conséquences pourraient être néfastes pour le Nigéria notamment parce qu’on retrouve les mêmes peuples installés de part et d’autre de leur frontière commune et qui ont toujours vécu sans problème, et ensuite, le Niger abrite environ deux cent mille réfugiés Nigérians qui ont fui les exactions de la secte terroriste Boko Haram, toujours actif dans le nord du Nigéria.
Stratégiquement et de manière raisonnable, on n’imagine pas Abuja se lancer dans une guerre contre le Niger sans avoir au préalable songé à rapatrier ses ressortissants vivant dans ce pays ; pareil pour les autres pays contributeurs de troupes.
Par ailleurs, sur la base du fait qu’il n’y a que la défense des intérêts qui comptent dans la coopération entre les Etats, on a du mal à cerner quels intérêts d’un, ou de plusieurs Etats membres de la Cedeao, l’arrivée au pouvoir des nouvelles autorités de Niamey met en péril. Si oui, ceux de certaines puissances occidentales accusées d’être des prédatrices qui pilent le Niger sans véritable contrepartie avec la complicité des dirigeants corrompus.
Ces puissances ont pris soin d’évacuer la plupart de leurs ressortissants dont la sécurité aurait été menacée en cas d’intervention militaire extérieure au Niger.
In finé, l’argument qui consiste à dire qu’il faut faire respecter la démocratie au Niger, et qui soutiendrait une éventuelle action militaire étrangère au Niger est léger, car au sein de la Cedeao et dans de nombreux pays en Afrique, il existe au-delà de celles clairement affichées, de véritables dictatures civiles, arrivées ou qui se maintiennent au pouvoir à travers notamment des tripatouillages des constitutions et des mascarades électorales.
Les putschistes Nigériens peuvent également brandir les manifestations populaires organisées en leur soutien depuis leur coup de force comme une légitimation de leur action.
En tout cas, toute intervention militaire effectuée directement par des pays africains au Niger aujourd’hui serait perçue comme une guerre par procuration menée au bénéfice principal de la France, ancienne puissance colonisatrice actuellement en difficulté dans le pays.
Au stade actuel, l’escale militaire est encore évitable si la Cedeao et d’autres acteurs internationaux font preuve de retenue
et privilégie une solution négociée pour sortir de la crise. Ils peuvent par exemple avoir le même comportement non belliqueux affiché lorsque des coups d’état militaires sont intervenus ces dernières années au Mali, en Guinée et au Burkina Faso.