Par Arlette Akoumou Nga
Des Palestiniens portant des drapeaux de la nation arc-en-ciel et des banderoles écrites en xhosa, sur la place Nelson Mandela à Ramallah, sous la statue de l’ancien président d’Afrique du Sud, pour saluer la plainte déposée par Pretoria contre Israël devant la Cour internationale de justice de La Haye. C’est l’une des images fortes du mercredi 10 janvier.
Après trois mois de guerre, suite à l’attaque du 7 octobre, et plus de 23 000 morts dans l’enclave assiégée, selon le ministère de la Santé du Hamas, la CIJ, à ne pas confondre avec la Cour pénale internationale, s’apprête donc ce jeudi 11, au lendemain de la manifestation, à se pencher sur la plainte déposée par cet allié de longue date de la cause palestinienne.
L’Afrique du Sud reproche à Israël, dans un document de 84 pages, de violer la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et demande à ce tribunal de l’Onu, basé à La Haye, et qui règle les différends entre États, de prendre des mesures d’urgence. Pretoria a la parole ce jeudi, et le vendredi, ce sera au tour d’Israël de s’exprimer.
Pour rappel, parallèlement à cette procédure à la Cour internationale de justice, le bureau du procureur de la Cour pénale internationale (Cpi) a commencé à enquêter de son côté sur les attaques du Hamas perpétrées le 7 octobre, et également sur la guerre qui a cours à Gaza depuis lors. Mais la Cpi ne peut juger que des individus et non des États.
Même sans moyens coercitifs, tout avis peut avoir un poids symbolique
Avec ces premières audiences, la Cour n’entend pas trancher sur le fond, ce qui pourrait lui prendre plusieurs années. Notre source, explique qu’elle doit en revanche décider ou non de la prise de mesures dites « conservatoires ». Cela pourrait concerner une cessation des hostilités ou la demande d’accès à l’aide humanitaire.
L’Afrique du Sud devrait détailler pourquoi elle considère que les actions d’Israël constituent des actes de « génocide ». Une situation douloureuse pour Tel-Aviv et Jérusalem, plus de 80 ans après le génocide des juifs par les nazis. Prenant visiblement la chose au sérieux, Israël a décidé de ne pas boycotter l’audience de ce jeudi à La Haye.
THE HAGUE, 29 December 2023.
South Africa today filed an application instituting
proceedings against Israel before the International Court of Justice (ICJ), the principal judicial organ
of the United Nations, concerning alleged violations by Israel pic.twitter.com/Gumpdp8g0W— Ministry of Justice and Correctional Services 🇿🇦 (@Min_JCS) December 29, 2023
Les deux pays ont pu nommer chacun un juge pour statuer avec les autres magistrats. Côté israélien, il s’agit d’Aharon Barak, ancien président de la Cour suprême de son pays, un rescapé de la Shoah. Et Pretoria a choisi Dikgang Moseneke, qui a siégé à la Cour constitutionnelle de son pays aussi, et qui est un ancien prisonnier de Robben Island.
L’Afrique du Sud a reçu des marques de soutien, notamment de l’Organisation de la coopération islamique (OIC), de la Turquie, du Brésil, ou encore du Britannique Jeremy Corbyn. Et même si la Cij n’a pas de moyens coercitifs, ou que des sanctions du Conseil de sécurité de l’Onu seront sans doute bloquées par les États-Unis, tout avis peut avoir un fort poids symbolique.
« Les États parties ont des obligations de prévention du génocide »
Israël a déjà rejeté « avec dégoût » ce qui est qualifié à Jérusalem et Tel-Aviv de « diffamation » sud-africaine. Car aux yeux du Premier ministre, Benyamin Netanyahu, l’armée de son pays se conduit « avec une moralité sans équivalent ». Si la Cij devait prendre ces mesures, rien ne dit donc qu’Israël s’y conformera.
Les limites de la justice internationale sont connues. La même Cour internationale de justice a par exemple ordonné à la Russie de mettre fin à son offensive en Ukraine, et ce, sans aucun effet à l’arrivée. Mais pour François Dubuisson, spécialiste du droit international à l’Université libre de Bruxelles, cela pourrait accroître la pression internationale.
« Au titre de la Convention sur le génocide, l’ensemble des États parties ont des obligations de prévention du génocide, rappelle-t-il, au micro de Nicolas Falez, du service international de Rfi.
Si la Cour dit que pour prévenir un génocide, toute une série de mesures doivent être prises, ça inciterait l’ensemble des États à exercer une plus grande pression.
L’État d’Israël pourrait ainsi se retrouver, conclut le juriste, pressurisé « pour qu’il adopte ainsi une série de mesures : soit la suspension des bombardements, soit à tout le moins des pauses humanitaires ». François Dubuisson voit dans cette procédure à la Cij « un levier relativement important » activé par l’Afrique du Sud et pesant sur les Israéliens.