Par Joël Onana
Au bout du fil, une voix lance : «Le trône de Louis XIV va sauter. A plus. Faites évacuer !» Et disparaît aussitôt. Cet appel au 17, le numéro d’urgence qui permet de joindre la police et la gendarmerie, aura duré trente-huit secondes. Il n’en fallait pas plus pour provoquer, quelques minutes plus tard, l’évacuation du château de Versailles jeudi 19 octobre, en début d’après-midi. Trente-huit secondes de farce macabre, à peine une semaine après l’attentat d’Arras ayant coûté la vie au professeur de français Dominique Bernard, et deux heures d’angoisse dans les allées du monument historique qui figure parmi les plus visités d’Europe. Pendant que les milliers de visiteurs étaient poussés vers la sortie, les forces de l’ordre et démineurs arpentaient les lieux pour la quatrième fois en six jours. Et puis, rien. Une nouvelle fois, fausse alerte.
«Je suis désolé, je suis navré pour les gens du château.» L’auteur du coup de téléphone répond aux questions du tribunal de Versailles en avalant ses mots, menton planté vers le sol. Miljan, 37 ans, était jugé ce lundi 23 octobre, en comparution immédiate.
Jeudi dernier, il est allé boire un café en bas de chez lui, comme tous les matins. Il est remonté. Il a ouvert la télé sur une chaîne d’information. Comme tous les matins. On parlait des trois précédentes alertes à la bombe au château de Versailles. Et là, il ne sait toujours pas pourquoi, mais il a voulu faire pareil. Pas dans un aéroport “parce que je ne voulais pas faire évacuer un aéroport”, précise-t-il aux enquêteurs, qui n’ont eu aucun mal à l’identifier puisqu’il a appelé le 17 avec son propre téléphone. Il a juste dit : “Le trône de Louis XIV, il va sauter. A plus. Faites évacuer.” Et il a raccroché. Il était 12 h 58. L’appel a duré 38 secondes. S’en suit cet échange, avec le président :
– “A la télé, ils ont fini par en parler”, poursuit le prévenu. “J’ai d’abord été fier de moi, mais très rapidement, j’ai regretté ce que j’avais fait.”
– “Vous êtes conscient du malaise que vous avez provoqué.”
– “Ah oui”, assure le prévenu.
– “11 000 personnes à évacuer…”
– “Oh oui, c’est impossible.”
– “Vous avez fait ça pour vous amuser ?”
– “Sur le coup oui, mais 10 secondes après, j’ai regretté.”
– “C’était vraiment drôle ?”
– “Non.”
– “On ne fait pas ça quand on a 37 ans”, gronde le président.
– “Ben oui”, consent-il.
“Médiocrement accessible à la sanction pénale”
L’expertise psychiatrique évoque chez lui “un retard cognitif, une profonde immaturité, l’absence de dangerosité, et un trouble psychique ayant altéré son discernement. Il comprend difficilement les choses, mais il est cohérent sur les faits”, note l’expert, et il conclut qu’il est “médiocrement accessible à la sanction pénale”. Entendu par les enquêteurs, son père raconte qu’il part dans des délires quand il ne prend pas bien ses traitements. “Une fois, il a appelé le commissariat pour dire que j’étais perdu, une autre fois, il m’a affirmé qu’il avait parlé à Nicolas Sarkozy. Il n’est jamais agressif, mais il peut raconter n’importe quoi.”
Le procureur réclame de la prison ferme en évoquant le contexte des attentats d’Arras et du conflit israélo-palestinien, la multiplication des fausses alertes à la bombe, la mobilisation des policiers, des militaires, des démineurs, des secours, le stress des visiteurs du château et le manque à gagner des commerçants. “C’est extrêmement regrettable”, appuie le magistrat, “avec un coût extrêmement important pour la société et des conséquences extrêmement graves pour lui. Il aurait dû réfléchir”. Il demandera six mois de prison ferme, sans mandat de dépôt, et six autres avec un sursis probatoire comprenant un suivi médical et une interdiction de paraître à Versailles pour deux ans.
“Il n’est pas dangereux”
L’avocate du prévenu insiste sur “le caractère psychiatrique de ce dossier, il n’y a rien d’autre puisqu’il reconnaît tout”. Maître Amandine Blandin recadre le parquet : “On n’envoie pas n’importe qui en prison”, se fâche-t-elle. “Vous croyez vraiment qu’il y a une question de contexte dans ce dossier ? Il n’a pas besoin d’injonction de soin, il a déjà un taux d’incapacité supérieur à 50 %, il est suivi, il n’est pas dangereux.” Un travail d’intérêt général ou une peine de prison avec sursis suffisent largement, conclut l’avocate, demandant au tribunal de se garder de prononcer une peine exemplaire parce que la presse est là, et qu’il ne faudrait pas donner l’image d’une justice laxiste. Après elle, son client s’excuse “pour les gens et pour le château”.
Le tribunal correctionnel de Versailles le condamne à une peine de huit mois de prison avec sursis et une obligation de soins pendant deux ans. Et lui donne rendez-vous dans quatre mois pour fixer, cette fois-ci, le montant des préjudices à rembourser, “autour de 150 000 euros” estime d’ores et déjà l’Établissement public du château de Versailles.
