Par Arlette Akoumou Nga
À la tête du Gabon depuis 14 ans, Ali Bongo a dû plusieurs fois lutter pour asseoir son pouvoir, hérité de son père, et doit à présent affronter une tentative de coup d’État destinée à renverser la dynastie qui dirige le pays depuis 55 ans.
Quelques heures avant l’annonce de la dissolution des institutions gabonaises par un groupe de militaires sur la chaîne de télévision Gabon 24, abritée au sein même de la présidence, Ali Bongo venait d’être proclamé vainqueur de la présidentielle du 26 août et réélu pour un troisième mandat avec 64,27 % des voix, selon les résultats officiels, “tronqués” d’après les putschistes.
En 14 ans de pouvoir, le président effacé et débonnaire élu en 2009 après le décès de son père – l’inamovible et intraitable Omar Bongo – s’est mué en un impitoyable chasseur de “traîtres” et de “profiteurs” au sommet de l’État, face à ceux qui l’avaient cru fini en 2018 après un accident vasculaire cérébral en Arabie saoudite. Ali Bongo avait alors disparu dix longs mois à l’étranger, une convalescence et une intense rééducation qui semblent avoir fait de lui un miraculé mais ont fait vaciller son pouvoir.
Depuis, ses opposants mettent régulièrement en doute ses capacités intellectuelles et physiques à diriger le pays, certains affirmant même qu’un sosie le remplace. Mais si une raideur dans la jambe et le bras droits l’empêche de se mouvoir aisément, la tête est bien là, assurent des visiteurs réguliers, diplomates ou autres.
Héritier contesté
Né Alain-Bernard Bongo en 1959 à Brazzaville, en République du Congo, où son père était militaire, il passe le plus clair de sa jeunesse en France, où il fait ses études secondaires et étudie le droit à l’Université Panthéon-Sorbonne. Son chemin n’était alors pas tracé. Jet-setteur passionné de musique, il se voulait le “James Brown gabonais” et s’imaginait une carrière, enregistrant en 1978 un 45 tours “soul, disco, funk”.
Puis Alain-Bernard Bongo devient Ali Bongo quand son père convertit la famille à l’islam en 1973. Il est appelé à Libreville, au Gabon, pour rejoindre le cabinet présidentiel de son père. Petit à petit, il est éduqué au code de la “Françafrique” et aux relations néocoloniales entre la France et ses anciennes colonies. En 1989, alors qu’il n’a que 29 ans, son père lui offre le ministère des Affaires étrangères – un poste qu’il doit abandonner deux ans plus tard, la nouvelle Constitution de 1991 exigeant un âge minimum de 35 ans pour assurer des fonctions ministérielles.
En parallèle de ce premier mandat avorté, Ali Bongo siège à l’Assemblée nationale : il y est élu deux fois, en 1990 et en 1996, dans la circonscription du Haut-Ogooué, principal fief des Bongo. En 1999, il retrouve finalement le gouvernement, prenant cette fois le maroquin de la Défense, qu’il conserve jusqu’à la mort de son père et son élection au poste suprême, dix ans plus tard, en 2009. Lors de son premier mandat, Ali Bongo se révèle l’antithèse de son père : sans le charisme et l’aplomb du “patriarche”, qui régna sans partage 41 ans sur ce très riche petit État pétrolier d’Afrique centrale, il assied difficilement son autorité, notamment face à des caciques rétifs de son tout-puissant Parti démocratique gabonais (PDG).
Héritier d’une partie de l’immense fortune paternelle, “Monsieur Fils” ou “Baby Zeus” – comme on le brocarde alors – est dépeint par l’opposition comme distant de son peuple, reclus dans de luxueuses propriétés au Gabon et à l’étranger ou au volant de nombreuses voitures de luxe. On lui reproche de laisser conseillers et ministres mener les affaires du pays. Et confondre parfois celles-ci avec leurs propres affaires.
Élections controversées
Jusqu’à sa réélection en 2016, très contestée et officiellement remportée de 5 500 voix seulement. Quelques mois plus tôt, le président a été rattrapé par une controverse autour de sa naissance : l’une des 54 héritiers d’Omar Bongo a porté plainte contre X au tribunal de Nantes pour “faux et usage de faux”. Onaida Maisha Bongo Ondimba, 25 ans, l’une des demi-sœurs d’Ali Bongo, prétend que son frère aîné ment sur ses origines et que l’acte de naissance archivé au service central d’état civil du ministère français des Affaires étrangères, basé à Nantes, a été falsifié. L’affaire est classée sans suite.
Le faible écart dans les résultats nourrit cependant la controverse et des émeutes éclatent. L’Assemblée nationale est incendiée. Les manifestations sont réprimées par les forces de l’ordre, qui lancent également un assaut contre le QG de campagne du candidat rival, Jean Ping, qui revendique la victoire. Ces troubles font trois morts selon les autorités, une trentaine selon l’opposition.
Un électrochoc pour Ali Bongo, suivi d’un second – son AVC –, deux événements qui vont précipiter sa mue. Sa convalescence est ponctuée par un putsch raté, aussi piteux que mystérieux, d’une poignée de militaires, le 7 janvier 2019, et une tentative rampante de mise au rancart par son omnipotent directeur de cabinet, Brice Laccruche Alihanga.
Ali Bongo lui a laissé les clefs du Gabon avec une confiance aveugle, comme à bien d’autres avant lui. Brice Laccruche Alihanga est aujourd’hui en prison depuis plus de trois ans, avec plusieurs ministres et hauts fonctionnaires fidèles, tous visés par une impitoyable opération “anticorruption”.
Lutte contre une corruption endémique
Le chef de l’État s’est depuis affiché en “père la rigueur” pour des ministres et conseillers soumis à des audits et congédiés à la moindre suspicion, dans ce Gabon affligé par une corruption endémique depuis les décennies décriées de la “Françafrique”, dont Omar Bongo était l’emblématique pilier.
Vains mots et postures, énièmes promesses jamais tenues, selon l’opposition, pour laquelle le fossé se creuse entre richissimes et pauvres dans ce pays parmi les plus riches d’Afrique par habitant, mais qui peine à diversifier une économie trop dépendante du pétrole. Récemment, Ali Bongo s’est aussi métamorphosé en redoutable stratège politique, comme son père : il a multiplié les disgrâces dans son camp et braconné, à coup de portefeuilles ministériels ou titres ronflants, dans une opposition désunie.
Pour ses zélateurs, il est un phénix renaissant de ses cendres, au prix de douloureuses séances de rééducation. Pour ses contempteurs, il est poussé par un entourage immédiat qui ne veut pas lâcher le pouvoir et ses acquis après 55 ans de “dynastie Bongo”.