Par Arlette Akoumou Nga
Le 4 mars dernier, lors de son discours sur l’état de l’Union devant le Congrès, le président américain s’est une nouvelle fois montré très ambiguë au sujet du Groenland, dont il a qualifié la « très petite population », installée sur « un très, très grand morceau de terre », de « peuple incroyable », le tout sous quelques rires. Les États-Unis, a-t-il dit, soutiennent « fermement » son droit à autodéterminer son « propre avenir » et lui souhaitent, s’il le veut, « la bienvenue » pour aller vers les « sommets ». Mais de glisser : « Je pense que nous allons l’obtenir. D’une manière ou d’une autre, nous allons l’obtenir. »
Face à cette nouvelle menace implicite d’annexion, « nous ne voulons être ni Américains, ni Danois », a dû affirmer de nouveau le dirigeant groenlandais Mute Egede dans un entretien à la télévision danoise DR le 10 mars, à la veille des élections à l’Inatsisartut, le Parlement de l’île, où il joue ce mardi sa réélection. M. Egede, qui fête ses 38 ans en ce jour de scrutin, a déploré des propos ne traitant pas son peuple « avec respect ». Alors que « l’ordre mondial vacille sur de nombreux fronts », a-t-il constaté, le président voisin se montre « très imprévisible » et, de ce fait, il « inquiète les gens ».
Ce qu’il s’est passé récemment, ce que le président américain a dit et fait, font qu’on ne veut pas être si proche [des États-Unis, NDLR] comme on a peut-être voulu l’être auparavant.
« Comme un moment de grande prise de conscience »
À gauche de l’échiquier, le parti Inuit Ataqatigiit, dont est issu Mute Egede, était passé devant son allié auparavant majoritaire, la formation Siumut, il y a quatre ans. Avec ses 39 candidats, il se présente cette fois devant les électeurs auréolé d’une visibilité mondiale, tandis que son partenaire de coalition présente 51 candidats. Tous deux comptent une dizaine de députés chacun, pour l’heure. Naleraq, fondé par un ancien Premier ministre de Siumut, en compte quatre, affichant 62 candidats. Les trois mouvements sont pour l’indépendance.
Dans une enquête d’opinion réalisée après la première menace d’annexion de Donald Trump le 7 janvier dernier, 85% des sondés parmi les près de 57 000 Groenlandais n’ont aucune intention de faire partie des États-Unis. Et Kira, étudiante de 25 ans interrogée dans la capitale groenlandaise Nuuk, fait partie de ceux-là : « Tout ça nous fait bien rire mais nous ne sommes pas des objets. On ne veut pas être doublement colonisés. »
« On veut être nous-même et le moment est venu », estime Kira, dans la droite ligne des propos de la nouvelle année de son Premier ministre. Sous tutelle danoise depuis des siècles, les habitants de la plus grande île du monde sont très fortement inuits, et les propos du magnat de l’immobilier sont parfois de nature à les choquer. Il n’est pas exclu que les Groenlandais soient appelés à voter dès cette année pour un référendum sur l’indépendance. Sans le mesurer, il se pourrait que Donald Trump soit ainsi parvenu à renforcer leur fort désir d’émancipation, même si cela pose bien des questions.
« Cet intérêt manifesté pour le Groenland est comme un moment de grande prise de conscience », considère Qupanuk Olsen, 40 ans, candidate sous la bannière de Naleraq. Les Groenlandais commencent vraiment à se rendre compte qu’ils ont beaucoup plus de valeur qu’ils ne le pensaient. Je vois ça comme une chose très, très positive. » Si M. Trump respecte la vie démocratique groenlandaise, comme il le dit, qui trouvera-t-il pour accepter ne serait-ce que sa proposition de rachat ? Atassut (deux députés), Demokraatit (trois), et même le petit nouveau, Qulleq : les petits partis en veulent-ils eux-mêmes ?
Jusqu’à présent, les sujets qui étaient mis sur le devant de la scène, c’était plutôt des sujets sociaux. Là, les velléités de Donald Trump ont polarisé le débat sur la question de l’indépendance vis-à-vis du Danemark, c’est-à-dire maintenant ou pas, et aussi fait émerger tout un discours sur la colonisation et sur les impacts actuels de la colonisation au Groenland.
Les vues américaines sur le Groenland sont anciennes. Le territoire appartient à sa zone d’intérêt telle que définie par la doctrine Monroe, en 1823. Washington a proposé de le racheter pour la première fois la même année que l’Alaska, en 1867. Et quelques années après une seconde tentative, pendant la Première Guerre mondiale en 1917, les États-Unis achètent les îles Vierges à Copenhague, grâce à la reconnaissance des intérêts du Danemark sur le Groenland en 1916.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis en prennent le contrôle, avant de le rendre à la fin du conflit, tout en y renforçant par la suite des infrastructures militaires dans le cadre d’un accord spécifique.
À la veille du scrutin, Donald Trump a lancé une ultime tentative sur son réseau social, alors que le sondage organisé au Groenland après son retour au pouvoir laissait entrevoir que 6% des personnes interrogées étaient tout de même favorables à sa proposition de rachat (et 9% indécis). Cette fois, il n’était plus question même en filigrane d’annexion, mais seulement de « milliards de dollars » d’investissements, en sus du maintien du parapluie américain. « Les États-Unis soutiennent fermement le droit du peuple du Groenland à déterminer son propre avenir », a promis le président républicain, sans digression cette fois.