Avec Jeune Afrique
La scène se passe à Yaoundé, fin avril. Lors d’un meeting aux allures de soupe populaire, un maire distribue à la fois des gamelles de nourriture et des liasses de billets à des dizaines de militants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc, au pouvoir au Cameroun). D’où vient cet argent ? Officiellement, le parti tire ses ressources des cotisations de ses adhérents.
Mais les images renforcent une réputation bien ancrée : celle du militantisme « pain sardine », qui vaut aux partisans de Paul Biya le surnom de « sardinards ». Ce ruissellement d’argent vers la base, sans origine clairement identifiée, alimente un soupçon persistant : le RDPC serait financé, au moins en partie, par des fonds publics détournés par de hauts responsables de l’État.
Au Cameroun, l’État octroie des subventions aux partis au titre du financement public, mais l’argent est versé en deux fois, une partie avant le scrutin et une autre après. Lors des sénatoriales de 2023, les partis n’ont pu encaisser ce qui leur revenait que cinq jours avant l’échéance. Une candidature sérieuse ne peut donc pas compter sur l’État pour financer sa campagne.
Le Rdpc, une machine financière bien huilée
À cinq mois de l’élection présidentielle, les potentiels adversaires de Paul Biya explorent de nouveaux modes de financement quand le président camerounais reste, lui, serein. Il s’appuie sur la solide machine financière de son parti, qui semble largement autosuffisant, notamment en raison des contributions de personnalités.
Le 25 avril, lors d’un meeting d’installation des chefs de délégations permanentes dans l’Ouest, une cagnotte de plus de 61 millions de F cfa (92 000 euros) a été levée. Elle a été constituée uniquement par des dons de barons locaux, en particulier des hommes d’affaires. Dans cette région à forte culture entrepreneuriale, la hauteur du don est un indicateur du statut social.
La somme est proportionnelle à la puissance du contributeur. À l’inverse, une contribution modique peut valoir à son auteur la pression de ses créanciers. D’autant que la liste des personnalités ayant versé est rendue publique. C’est la culture de la tontine, qui est également pratiquée dans l’opposition, laquelle est parfois qualifiée de « tontinarde ».
Hommes d’affaires et ministres mettent des millions
Sur la liste des 87 contributeurs de la cagnotte du Rdpc dévoilée le 25 avril figurait notamment le sénateur Sylvestre Ngouchinghe, fondateur de Congelcam, avec un don de 5 millions de F cfa. En tête de liste était aussi inscrit, malgré une contribution moindre de 3 millions, Marcel Niat Njifenji, président du Sénat.
Les ministres ont participé dont Emmanuel Nganou Djoumessi (Travaux publics, 1,5 million), Célestine Ketcha Courtès (Urbanisme, 1 million), tout comme le conseiller spécial à la présidence, Luc Sindjoun (1 million). Autre exemple de la connivence assumée entre RDPC et l’administration, le gouverneur du Sud-Ouest, Adolphe Lélé Lafrique, né dans la région de l’Ouest, a mis 500 000 F cfa.
Mais ces cagnottes ponctuelles – qui n’empêchent pas les contributeurs d’effectuer d’autres dons moins publics – ne sont qu’une partie de la manne du Rdpc. À l’échelle nationale, la sous-commission « Intendance » du Rdpc, présidée par le trésorier Gilbert Tsimi Evouna, centralise aussi les grandes contributions versées par la quasi-totalité des grands patrons du privé et des dirigeants d’entreprises publiques, sans oublier les barons politiques.
Ces dons spéciaux, distincts des cotisations ordinaires, échappent à toute transparence et toute publicité. Tout juste sait-on que Mohamadou Abbo Ousmanou, fondateur de Maïscam, fut longtemps l’un des plus gros de ces contributeurs spéciaux. Décédé en octobre 2023, il a récemment été supplanté par Baba Ahmadou Danpullo, patron de Nexttel, qui a offert 100 millions de F cfaau parti en 2020, officiellement pour la lutte contre le Covid-19. Il aurait versé un montant comparable lors de la présidentielle de 2018.
Une opacité assumée au Rdpc
À titre de comparaison, en Afrique du Sud, tout don supérieur à 100 000 rands (5 600 euros) doit être déclaré chaque trimestre à la commission électorale. Une même source ne peut donner plus de 15 millions de rands (84 000 euros) par an. L’idée est d’éviter qu’un homme d’affaires ait l’idée de s’acheter les faveurs d’un pouvoir politique.
Au Cameroun, rien de tel : les montants des contributions spéciales, leurs usages et leurs provenances restent confidentiels. Au contraire des contributions statutaires, qui sont exigées de chaque membre du parti selon son rang et sa fonction. Un militant de base de l’organisation des jeunes ou de celle des femmes paiera ainsi 500 F cfa par an, tandis qu’au RDPC lui-même, la somme est de 1 000 F cfa. Les hauts fonctionnaires ou les responsables politiques versent en revanche des sommes plus élevées, en fonction de leur rang.
Le parti et l’administration étant étroitement liés, difficile de protester. Le Rdpc, qui totaliserait environ 5 millions de membres, collecte. Mais il ne communique pas sur les montants, entretenant l’opacité. D’ailleurs, le budget du candidat à la présidentielle – Paul Biya en l’occurrence depuis la création du parti dans les années 1980 – est tenu secret. Une chose est sûre : jusqu’ici, le Rdpc n’a jamais eu besoin de chercher des sources de financement alternatives.
Contrairement à ses concurrents de l’opposition : début février, Maurice Kamto, président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun et volontiers qualifié de « tontinard », a lancé un appel aux dons par transfert mobile pour financer un budget de campagne estimé à 6 milliards de F cfa. Akere Muna, de son côté, veut mettre à contribution la diaspora pour lever des fonds.
Le cas du Social Democratic Front (Sdf) donne une idée des besoins. Le parti reçoit une subvention annuelle de 55 millions de F cfa, selon son président Joshua Osih, qui estime que le Sdf a besoin d’environ 250 à 300 millions de F cfa par an pour fonctionner. Sans compter, donc, les coûts de la campagne présidentielle, une fois tous les sept ans. Le budget prévisionnel est « strictement confidentiel ».