Par Léopold DASSI NDJIDJOU
De regrettée mémoire, Jacques Chirac, le 5ème président de 5ème République française confiait un jour que la démocratie est un luxe pour les Africains. Il le disait dans les années nonante. Aujourd’hui,s’il est pris de court par la démonstration de ce qui se passe dans les pays anglophones à l’exemple du Ghana, du Nigeria, du Kenya, de la Gambie, le Sénégal fait l’exception, l’Afrique francophone illustre Chirac. Qu’est-ce qui explique que les pays sortis du moule de la colonisation anglo-saxonne comme on le constate, s’illustrent au peloton de tête dans dans cette dynamique qui bat en brèche cette dynamique chiraquienne? A la vérité, l’esquisse d’une réponse à cette question est plurielle. Retenons juste deux points pour illustrer la démocraphobie. La sournoise survivance de l’esprit du colonisé et la gloutonnerie du lucre lié au pouvoir.
Le premier point est illustré par ce qui est systématisé comme la Françafrique. On en a tout dit et surtout montré comme elle s’effondre dans les pays au sud du Sahara à l’exemple des pays de l’Aes. Mais, à bien regarder, ce n’est que l’arbre qui cache la forêt. Dans les pays africains subsahariens, comme cette vieille et rodée mécanique tarde à être hors d’usage. Même si l’Élysée s’en lave les mains, il ne manquera pas des chefs d’Etat pris au dépourvu par les exigences démocratiques, d’aller chercher par tous moyens un second souffle, une onction de légitimité et même de légalité en Hexagone. Ce ce raccourci démocratique crée la rupture entre le Peuple souverain électeur et le chef de l’Etat d’un tel pays. Cette réalité est la tentation qui guette tous les pouvoirs d’État mordus par la gloutonnerie du pouvoir. Le fameux troisième en dit long dans certains pays à juste titre. Il existe de ce fait tant de mécanismes, tant de stratégies savamment orchestrées pour frustrer le Peuple souverain de son pouvoir de choisir son légataire qui va présider aux destinées du pays. Quand vient l’heure de voter, il y a comme un écran de fumée, une nébuleuse entre la mise du bulletin dans l’urne et ce qui en ressort au bout de la chaîne du scrutin. Le peuple le plus souvent ne se reconnaît que très peu en son président de la République, d’où le conflit entre la légalité et la légitimité. Tout le problème de la démocratie réside donc dans le processus de la mécanique de devolution du pouvoir d’État. Le Code électoral, l’organisateur de l’élection, l’instance juridictionnelle qui règle du contentieux électoral ou publie les résultats, devraient construire une unanimité, un consensus de par leur indépendance. Le mal de l’Afrique démocratique réside à ce niveau. Pour qu’on ne se méprenne pas à ce niveau de la réflexion, la Françafrique dont le français François Xavier Verchave a passé sa vie à combattre, conserve malheureusement des gènes et des atomes crochus dans notre architecture juridique et dans le subconscient de beaucoup de nos dirigeants qui torpillent le verdict des urnes et filent à Paris ou de plus en plus auprès d’autres puissances pour se faire abouber. On voit l’entrée fracassante de certaines puissances dans le vieux pré carré français construit par Charles de Gaulle . Aujourd’hui, la Russie ou la Chine piétinent allègement les plattes-bandes de l’ancienne comolisateur. Que se passe-t-il au Sahel? En Rca? Les puissances se succèdent. Est-ce que quelqu’un comprend la lucidité des propos chiraquiens évoqués précédemment? Pourquoi au Gabon, alors que les urnes annonçaient Ondo Ossa vainqueur, le coup d’État est passé comme lettre à la poste alors qu’ailleurs on a suivi les coups de sifflet retentissants des arbitres de la démocratie dans le monde? Il ne nous appartient pas ici de citer les pays francophones qui sont régulièrement taxés d’avoir une accointance incestueuse avec l’Élysée. On sait tout juste qu’ils peuvent sauter les verrous de la limitation des mandats dans le but de s’éterniser au pouvoir sans qu’un seul chien remue la langue dans la rue. Vous avez dit démocraphobie ou l’allergie à la démocratie ?
La boulimie lucrative du pouvoir
Le deuxième point qui souligne à grand trait la prégnance de l’allergie tous azimuts à la démocratie, est la gloutonnerie du lucre, la boulimie dans la jouissance du pouvoir. Les chefs d’Etat africains francophones dans une grande majorité, mènent une vie princière, très dispendieuse en parfaite contraste avec le peuple qui tire le diable par la queue. Si le budget des présidences de la République ne sont pas si élevés, il n’en demeure pas moins vrai que la nature ultra présidentialiste du pouvoir ouvre les portes à toutes sortes de dérives. Tous les acteurs politiques sont redevables au Palais et se sentent obligés non pas d’abord de remplir fidèlement et intégralement leurs missions, mais de plaire au maître d’œuvre qui tient fermement toutes les manettes. C’est cette structuration qui fait le lit à toutes les dérives managériales où on voit même le Parlement, en dépit du principe de la séparation des pouvoirs, faire complaisamment allégeance à L’exécutif pour ne pas dire au président de la République. Dans une telle configuration, la démocratie est remise en cause car tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains du seul titulaire du pouvoir exécutif qui est ici l’alpha et l’oméga.<< S’il vous plaît, ne volez plus! Je vous en supplie, vous avez déjà trop volé ! S’il vous plaît !>>, se souvient-on que suppliait ainsi le Maréchal du Tchad de regrettée mémoire, Idriss Deby Itno, sans que cela change grand-chose à la gabegie ambiante dans son pays. Son homologue camerounais, Paul Biya, confronté à la même gangrène, menaçait en ces termes. <>>, sans que ceci, ni les prisons, ne dissuadent son administration de laisser libre cours à ses penchants de prévarication des fonds publics. Omar Bongo Ondimba, vers la fin de son magistère, se répétait en ces termes devant ses ministres : <>. Son message ne passait pas, car pendant des décennies il était tout, le pouvoir et le contre-pouvoir. C’est dire qu’en Afrique au sud du Sahara, la démocratie est étranglée par la course effrénée de capter au plus vite et de jouir des lucres du pouvoir. Le carburant qui alimente un système aussi détraqué est la corruption, la gabegie, le népotisme et tous autres maux apparentés. Le fait d’occuper un portefeuille ministériel ou autre poste dans la haute administration, fait de certains titulaires et Dieu sait qu’ils sont nombreux, de véritables businessmen. C’est pourquoi, les plus riches dans beaucoup de nos pays ne sont plus les créateurs de richesses hors de l’administration. Les plus nantis tirent leurs ressources des caisses publiques ou gravitent autour. C’est pourquoi certainement, l’industrialisation tarde à prendre corps. Comme les propos de Jacques Chirac sont si vérifiés.