Avec Maître Daniel Blaise Ngos
La fermeture controversée de BNews1 : Une ordonnance gracieuse face au droit du travail Camerounais
La suspension des activités de Bnews1 par une ordonnance gracieuse et la fermeture ce jour de ses locaux a suscité une vive polémique au Cameroun, soulevant des questions fondamentales quant à la légalité et à la procédure d’une telle décision.
En effet, alors que la cessation d’activité et la suspension d’emploi relèvent traditionnellement du droit du travail camerounais et sont encadrées par des dispositions strictes relatives au licenciement économique (Art 34, 35, 36 et 40 du Code dutravail), l’intervention d’une ordonnance gracieuse dans ce contexte interpelle.
Cet article se propose d’analyser cette situation en détaillant la procédure de licenciement économique telle que prévue par le Code du travail camerounais.
L’ordonnance gracieuse : Un instrument inadapté à la suspension d’activités
Une ordonnance gracieuse est une décision rendue par un juge, généralement à la demande d’une partie, dans des matières où il n’y a pas de litige opposant des parties. Elle est souvent utilisée pour des actes d’administration judiciaire, comme l’autorisation d’un mariage, la délivrance d’un duplicata de titre ou la nomination d’un tuteur.
Son caractère non contradictoire et son objectif de régularisation ou d’autorisation la distinguent clairement des décisions contentieuses.
Dans le cas de Bnews1, l’utilisation d’une ordonnance gracieuse pour suspendre des activités est pour le moins inhabituelle et potentiellement problématique. Une telle décision a des conséquences directes et lourdes sur les employés, qui se retrouvent du jour au lendemain sans emploi et sur la survie même de l’entreprise.
Or, ces conséquences relèvent typiquement du droit du travail, qui est précisément conçu pour encadrer les relations entre employeurs et employés et protéger les droits de ces derniers, notamment en cas de cessation d’activité ou de réduction de personnel.
Le “Licenciement économique et son cadre juridique au Cameroun
La suspension des activités d’une entreprise entraînant la perte d’emploi pour les salariés est, en droit du travail camerounais, qualifiée de licenciement pour motif économique.
Ce type de licenciement n’est pas une simple faculté pour l’employeur, mais une mesure encadrée par des conditions strictes et une procédure rigoureuse, définies par le Code du travail (Loi n° 92/007 du 14 août 1992 portant Code du Travail, modifiée et complétée par la Loi n° 2017/018 du 21 juillet 2017).
Le licenciement économique se distingue du licenciement pour motif personnel (faute, inaptitude) par sa nature non inhérente à la personne du salarié.
Il est motivé par des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, ou la cessation d’activité.
La procédure de licenciement économique au Cameroun : Un Formalisme Impératif
Le Code du travail camerounais a mis en place une procédure de licenciement économique complexe et protectrice pour les salariés, dont le non-respect peut entraîner la nullité du licenciement et des condamnations pécuniaires pour l’employeur.
Cette procédure vise à garantir la transparence, la concertation et, dans la mesure du possible, la recherche de solutions alternatives au licenciement.
Voici les principales étapes de cette procédure :
- Consultation des Délégués du Personnel ou du Comité Social et Économique (Cse)
Avant toute décision de licenciement économique, l’employeur est tenu d’informer et de consulter les délégués du personnel ou le Comité Social et Économique (Cse) s’il existe dans l’entreprise.
Cette consultation doit porter sur les motifs du licenciement, le nombre de travailleurs concernés, les catégories professionnelles affectées, le calendrier envisagé et les mesures d’accompagnement envisagées (formation, reclassement, etc.). L’employeur doit fournir toutes les informations utiles permettant aux représentants du personnel de rendre un avis éclairé.
Des réunions doivent être organisées et des procès-verbaux établis. L’objectif est de permettre un dialogue social et d’explorer toutes les pistes visant à éviter ou à limiter les licenciements.
- Notification de l’Intention de Licencier à l’Inspecteur du Travail
L’employeur doit notifier par écrit son intention de procéder à des licenciements économiques à l’Inspecteur du Travail et de la Prévoyance Sociale territorialement compétent.
Cette notification doit être accompagnée de toutes les pièces justificatives des motifs économiques invoqués (bilans, comptes de résultats, rapports d’expertise, etc.), du procès-verbal des consultations avec les délégués du personnel et de la liste nominative des salariés visés par le licenciement.
- Tentative de Conciliation et de Recherche de Solutions Alternatives
À réception de la notification, l’Inspecteur du Travail convoque l’employeur et les représentants des travailleurs pour une tentative de conciliation. Cette étape est cruciale et vise à :
- Vérifier la réalité et la gravité des motifs économiques invoqués par l’employeur.
- S’assurer du respect de la procédure interne (consultation des délégués du personnel).
- Rechercher des solutions alternatives au licenciement, telles que la réduction du temps de travail, la mise en chômage technique partiel, le reclassement interne des salariés, la formation ou la reconversion.
- Définir les modalités d’accompagnement social des salariés licenciés (indemnités supra-légales, aide à la recherche d’emploi, etc.).
L’Inspecteur du Travail joue un rôle de médiateur et d’arbitre. Il peut émettre des recommandations ou des observations. Un procès-verbal de conciliation, constatant un accord ou un désaccord, est dressé à l’issue de cette phase.
- Autorisation de Licencier par l’Inspecteur du Travail (Ancienne Procédure) et Evolution
Historiquement, l’Inspecteur du Travail devait expressément autoriser le licenciement économique. Cependant, la loi n° 2017/018 du 21 juillet 2017 portant Code du Travail a introduit des modifications significatives.
Désormais, l’autorisation préalable de l’Inspecteur du Travail n’est plus systématique. L’employeur peut procéder aux licenciements après la phase de conciliation, même en l’absence d’accord, sous réserve du respect de la procédure et de la justification des motifs économiques.
Toutefois, l’Inspecteur du Travail conserve un pouvoir de contrôle a posteriori et peut intervenir en cas de non-respect de la procédure ou de contestation des motifs. Sa décision lors de la phase de conciliation reste un élément important en cas de contentieux ultérieur.
- Notification Individuelle des Licenciements aux Salariés
Une fois la procédure préalable respectée, l’employeur peut notifier individuellement et par écrit les licenciements aux salariés concernés.
La lettre de licenciement doit clairement indiquer les motifs économiques qui justifient la rupture du contrat de travail, la date d’effet du licenciement, la durée du préavis, et les droits du salarié (indemnité de licenciement, solde de tout compte, certificat de travail, attestation.
- Paiement des Droits des Salariés
L’employeur est tenu de verser aux salariés licenciés toutes les indemnités légales dues, notamment :
- L’indemnité de préavis (sauf dispense par l’employeur).
- L’indemnité de licenciement (calculée en fonction de l’ancienneté du salarié et de son salaire, selon les barèmes fixés par le Code du travail ou les conventions collectives).
- Les congés payés non pris.
- Le solde de tout compte.
Les implications de la désormais affaire BNews1
Dans le cas de Bnews1, l’intervention d’une ordonnance gracieuse pour suspendre les activités sans suivre la procédure de licenciement économique telle que décrite ci-dessus, semble soulever de sérieuses interrogations sur le plan juridique.
- Non-respect des droits des travailleurs :
Les salariés de Bnews1 auraient dû bénéficier des protections prévues par le Code du travail, notamment en termes de consultation, de tentative de reclassement et de versement des indemnités.
L’ordonnance gracieuse, par sa nature, ne permet pas de garantir ces droits fondamentaux.
- Contournement de la loi :
L’utilisation d’une ordonnance gracieuse dans ce contexte pourrait être perçue comme une tentative de contourner les dispositions impératives du Code du travail, qui visent précisément à encadrer les ruptures collectives de contrats de travail.
- un Précédent dangereux : Si une telle pratique était admise, elle pourrait créer un précédent dangereux, permettant à d’autres entreprises de se soustraire à leurs obligations légales en matière de licenciement économique, au détriment des salariés.
- Compétence des tribunaux : La compétence pour statuer sur les litiges du travail, y compris les licenciements économiques, relève des tribunaux sociaux (ou des chambres sociales des tribunaux de première et grande instance) et non du juge des référés pour une ordonnance gracieuse qui n’est pas le cadre approprié pour une cessation d’activité.
En résumé
La suspension des activités de Bnews1 par une ordonnance gracieuse met en lumière une tension entre des procédures judiciaires spécifiques et les exigences impératives du droit du travail camerounais. Le licenciement économique est une mesure grave qui a des conséquences sociales importantes et c’est pourquoi il est entouré d’un formalisme rigoureux visant à protéger les salariés et à favoriser le dialogue social.
L’ignorer, au profit d’une voie juridique non appropriée, risque non seulement de léser les droits des travailleurs, mais aussi d’affaiblir la sécurité juridique dans les relations professionnelles au Cameroun. Il est essentiel que le respect du Code du travail soit garanti pour préserver l’équilibre entre les intérêts des employeurs et ceux des employés.
Il n’est heureusement pas tard pour mieux faire dans cette désormais affaIre.
