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Par Joseph OLINGA N.
Rares sont les occasions d’entendre les acteurs du système de gouvernance français en Afrique s’étendre sur les méandres de ce qu’est réellement la France-Afrique. Cette nébuleuse passerelle établie entre les différents gouvernements français et les chefs d’État du continent. A travers deux interviews, Robert Bourgi, avocat français à la renommée incontestée dans les palais et les arriéres court du continent se livre sans fioritures sur la gestion du pouvoir en Afrique depuis six décennies. Outre les secrets des mécanismes du pouvoir entre les différents chefs d’État de l’Afrique noire francophone avec les différents gouvernements français, l’homme mis à l’étrier depuis l’ère Foccart jette des pans de lumière sur les réalités du pouvoir au Cameroun depuis le magistère du premier président de la République du Cameroun, Ahmadou Ahidjo jusqu’à Paul Biya.
Au moment où le Cameroun vit un bouillonnement particulier, lié à la réalité de l’année électorale dont le clou est fixé au mois d’octobre prochain mais aussi l’éventualité d’une transition politique, de plus en plus évoquée, Robert Bourgi livre ses prévisions sur l’après Biya.
Panorama Papers vous livre dans les colonnes qui suivent quelques extraits des déclarations de celui qui a été le lien entre les différents chefs d’État français et les deux présidents que le Cameroun a connu depuis la décennie soixante-dix.
1- La rencontre et les relations avec Paul Biya.
“Je l’ai rencontré une dizaine de fois. Et, la première rencontre que j’ai eu avec lui c’était en 1986. C’était lors de la première cohabitation Mitterrand-Chirac. J’étais au cabinet du ministre de la coopération de l’époque, Marcel Auriac. Nous sommes allés en visite officielle au Cameroun. J’accompagnais le ministre dont j’étais le conseiller politique. Michel Auriac avait téléphoné au président Omar Bongo. Il lui avait dit “Je vais au Cameroun président.” Et il lui a dit “Tu emmènes Robert?” Il lui a dit “Oui. Robert est mon conseiller politique.” Le président Bongo lui a dit “Bon d’accord.” Et il y avait une réception à l’ambassade à Yaoundé. Nous avions eu une audience avec le président Biya. Et, je reçois un coup de fil de Martin Belinga, le directeur du protocole de l’époque. Il m’a dit “Monsieur Bourgi, le président Biya souhaiterais vous voir à 22 heures.” Je lui ai demandé si le ministre le sait. Il m’a dit “Non. C’est le président Bongo qui a parlé de vous au président Biya et il souhaiterais que vous le rencontriez.” C’est ainsi que je le retrouve devant le président Biya. Il m’a dit “J’aimerais avoir avec vous une sorte de relation comme celle que vous avez avec Bongo.” Je l’ai vu trois, quatre cinq fois. Et à chaque fois que j’arrivais à Yaoundé, il me recevait. Il le disait “Mon avion va vous accompagner à Libreville.” Il y avait eu une sorte de commerce honorable et intellectuelle entre Biya, Robert Bourgi et le président Bongo.
2- A propos de la longévité au pouvoir de Paul Biya.
“Là maintenant, il en est à son quantième mandat? Je l’ignore. Il est nonagénaire. Le voilà candidat à une nouvelle présidentielle. C’est un peu choquant parce que l’âge est là. Je me pose la question, lui parti, est-ce que le Cameroun va être en bonne santé ?”
3- Relations avec Ahmadou Ahidjo.
“J’ai connu Ahidjo par la volonté de monsieur Foccart. Je l’ai rencontré à Grâce où il avait une maison, en 1977. J’avais été impressionné. C’est pas Biya mais c’était la sagesse africaine venue du fond des âges. Après Ahidjo m’a dit “Il faut que vous me rendiez visite à Yaoundé.” Et c’est Samuel Eboua, son plus proche collaborateur qui avait organisé mon voyage à Yaoundé. Il y a quelque chose qui m’avait marqué : c’est qu’il grillait cigarette sur cigarette. C’était assez impressionnant. Une autre fois que je l’ai vu, pendant la période du Ramadan, j’avais commis un pur mensonge. Je lui ai dit que je faisais le Ramadan, ce qui était faux. Ce qui fait que je mourrais de faim. Lui il était un vrai musulman. Le président Ahidjo était impressionnant. Cette génération d’hommes d’État était vraiment impressionnante.”
4- Le départ d’Ahidjo du pouvoir.
“Ahidjo était à Dakar lorsqu’il est parti. J’avais été peiné par la manière dont il a quitté le pouvoir. Forcé par certaines personnes. C’était pénible. J’ai posé la question au meilleur des exégètes, Jacques Foccart. Il m’a dit qu’il avait été trompé par le président Giscard d’Estaing qui lui avait raconté des choses déplaisantes sur son état de santé. Surtout, il a été forcé par certains groupes de pression. Il y avait Certaines sociétés de pensées, certaines loges, certains milieux d’affaires, tout y était. Voilà pourquoi Ahidjo est parti du pouvoir.Le président Biya était déjà connu du patronat français et des milieux d’affaires occidentaux. Et, il était très apprécié du président Giscard d’Estaing. N’oublions pas qu’il y avait à côté du président Giscard d’Estaing, le plus proche collaborateur de Foccart, René Journiac qui a joué un grand rôle dans le fait que Giscard d’Estaing ait emmené Ahidjo a quitter le pouvoir.”
5- L’arrivée au pouvoir de Paul Biya et l’homme vu de Paris aujourd’hui.
“Le Paul Biya du début des années 80 était adapté au nouveau monde. l’Afrique basculait dans le nouveau monde. Et, le temps d’Ahidjo était passé. Ahidjo aimait profondément son pays. Mais on a jugé que son temps était passé. On a trouvé Ahidjo dépassé comme on a trouvé Mobutu aussi. Et vous connaissez la relation qu’il y avait entre le président Mobutu et le président Paul Biya.”
6- Paul Biya sous l’emprise des sectes.
“Ne m’embarquez pas dans un domaine qu’un.africain comme moi ne doit pas parler : le mysticisme. Le monde surnaturel. Effectivement, le président Mobutu exerçait sur le président Biya de l’époque un fort ascendant spirituel. Et, le mysticisme auquel croyait le président Mobutu a été inculqué au président Biya. Il y avait une très forte convenance entre les deux. Et vous savez que le domaine du spirituel en Afrique, c’est un domaine sacré.”
7- Perspectives de l’après Biya au Cameroun.
“Je ne comprend pas que cet homme (Paul Biya, Ndlr) qui était admirable sur le bout des doigts en politique soit encore là aujourd’hui. La raison que je vous ai donné c’est qu’il doit savoir qu’autour de lui, on doit savoir que Biya parti, le Cameroun pourrait traverser des zones extrêmement difficiles. Des troubles. Nul n’est éternel. Nul n’est irremplaçable. Je vais vous dire une chose, Houphouet Boigny est parti. Racontez-moi la vie politique de la Côte d’Ivoire depuis son départ. C’est chaotique. Coup d’État du Général Gueî, la guerre civile, Bédié qui est renversé, Laurent Bagbo qui part à la Cpi. Aujourd’hui on a un président qui avait juré de ne pas faire un quatrième mandat qui est entrain de liquider tous ses opposants politiques pour être candidat pour la quatrième fois. Je suis inquiet pour la Côte d’Ivoire aujourd’hui. C’est pour cela que nul n’est irremplaçable. Mais quand Houphouet était là, il est parti alors que la Côte d’Ivoire était un îlot. Mais trois décennies après…Et le Zaïre devenu la République démocratique du Congo, la Rdc. Vous croyez que depuis le départ de Mobutu la RDC vit une période agréable ?”
