Par Eric Boniface Tchouakeu
«Il a été attrapé par l’armée camerounaise, traduit en justice, condamné pour atteinte à la sûreté de l’État puis fusillé en janvier 1971. Monsieur Ouandié, sous le prétexte de lutter pour le bien du Cameroun, l’indépendance véritable, s’est permis de verser le sang des Camerounais qui ne lui ont rien fait », a ensuite expliqué quelques jours plus tard, Abel Elimby Lobe à un média international face au tollé suscité au sein de l’opinion nationale par sa première déclaration concernant Ernest Ouandié, pourtant considéré comme l’une des principales figures ayant mené la lutte pour l’indépendance du Cameroun.
Dans une mise au point le 24 février 2025 suite à ce qu’il considère comme « des propos outranciers » d’Elimbi Lobe à l’endroit du leader nationaliste Ernest Ouandié, l’ancien député Robert Bapooh Lipot, aujourd’hui Président du Conseil d’Administration de la Société de Recouvrement des Créances du Cameroun, qui se considère comme le Secrétaire Général de l’un des courants de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) ,le parti historique, dénonce la profanation de la mémoire de Ernest Ouandié.
« L’Union des Populations du Cameroun réprouve la sortie scabreuse du sieur Elimby Lobe et appelle le peuple vigilant nationaliste camerounais à s’approprier la légitimation du combat upéciste devenue réalité en vue de la réconciliation des fils et filles du Cameroun et la réparation des violences polyformes infligées aux nationalistes », déclare encore Robert Bapooh Lipot.
Il convient de relever que Ernest Ouandié alors âgé de 47 ans, a été publiquement exécuté le 15 janvier 1971 à Bafoussam par fusillade. Il avait été condamné à mort pour « rébellion » et « trahison » quelques jours plus tôt à l’issue de ce qui est considéré par l’opinion majoritaire comme un simulacre de procès.
Le 15 janvier 1971, Ernest Ouandié a rejoint la liste des autres leaders de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) tués pendant la lutte pour l’indépendance du pays. Il s’agit notamment de Ruben Um Nyobè assassiné le 13 septembre 1958, Felix Roland Moumié le 03 novembre 1960 et Ossendé Afana, le 10 mars 1966.
Le 16 décembre 1991 a été promulguée une loi portant réhabilitation de certaines figures de l’histoire du Cameroun. Il s’est agi de réhabiliter des personnes déjà disparues qui au terme de la loi, « ont œuvré pour la naissance du sentiment national, l’indépendance ou la construction du pays, le rayonnement de son histoire ou de sa culture. »
Cette loi cite nommément et dans l’ordre, l’ancien Président de la République, Ahmadou Ahidjo, les anciens dirigeants de l’Upc : Ruben Um Nyobè, Felix Moumié et Ernest Ouandié.
L’article 2 de la loi dispose que , « la réhabilitation a pour effet de dissiper tout préjugé négatif qui entourait toute référence à ces personnes, notamment en ce qui concerne leurs noms, biographies, effigies, portraits ,la dénomination des rues, monuments ou édifices publics. »
Plus de 33 ans après, aucune commémoration officielle à la mémoire de ces grandes figures n’a jamais été organisée. Aucune rue, aucun édifice ou monument majeur de la république ne leur est dédié, à l’exception du Président Ahidjo qui a eu la chance de voir certains portés son nom quand il était encore le Chef de l’Etat, à l’instar du stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé.
Par ailleurs, la véritable histoire de la lutte pour l’indépendance du Cameroun qui est aussi celle des batailles menées par les leaders nationalistes n’a jamais été enseignée dans des écoles.
Une telle situation est susceptible de pousser certaines personnes aux desseins inavoués à dénaturer des faits, ou à les interpréter de mauvaise foi, car on ne peut ignorer que dans tout combat, ou dans toute guerre comme ce fut le cas pour réclamer l’indépendance du Cameroun, il peut y avoir des dégâts collatéraux.
Les polémiques concernant le rôle du nationaliste Ernest Ouandié sont aussi intervenues d’une part, après la publication en janvier 2025 du rapport sur « le rôle et l’engagement de la France dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d’opposition au Cameroun de 1945 à 1971 »,et d’autre part en pleine période préélectorale, marquée par la recrudescence des discours tribalistes et de haine dans l’espace public à l’approche de la présidentielle attendue entre septembre et octobre 2025.
On peut donc y voir, une grossière manipulation et une tentative de détournement de l’opinion nationale sur ce qui semble essentiel et prioritaire dans l’ordre des choses en ce moment.