Par Joseph OLINGA N.
A l’initiative des évêques de l’église catholique romaine, réunis au sein de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun (Cenc), des échanges discrets mais inclusifs ont été menés avec les acteurs sociopolitiques et économiques depuis des mois pour réfléchir aux moyens politiques et diplomatiques à mettre en œuvre pour prévenir une crise sociale et politique majeur au Cameroun. La “Lettre pastorale des évêques, à l’occasion de l’élection présidentielle et des élections régionales de 2025 au Cameroun” est l’aspect visible de cette instance activité.
Le pays est en proie depuis des décennies à un important déficit de gouvernance politique et économique qui a notamment suscité et stimulé des tensions sociales et politiques qui divisent les différentes composantes sociales et communautaires du Cameroun. Dans le même temps, le pays connaît l’émergence des foyers de crise dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest ; la recrudescence des attaques terroristes dans la région septentrionale et une guerre larvée à la frontière entre le Cameroun et son voisin centrafricain.
En interne comme dans les chancelleries partenaires du Cameroun, les analystes estiment que les choses pourraient devenir pires si l’élection présidentielle prévue au mois d’octobre ne se déroule pas convenablement et si les résultats ne sont pas acceptés par tous. Y compris au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) dont le chef de l’État sortant Paul Biya est le précurseur et le chef de file.
Initialement prévue en 2026, l’élection présidentielle a été ramené au mois d’octobre 2025, supplantant les élections municipales et législatives qui devaient régulièrement se tenir courant 2025. Au même titre que les élections régionales, l’élection présidentielle a été programmée au cours de l’année 2025, sans que les raisons de ce bouleversement de calendrier ne soient expliquées aux composantes politiques et aux organisations de la société civile qui n’ont de cesse de crier à la manoeuvre pour maintenir l’actuel chef de l’État du Cameroun au pouvoir. Et ceux malgré les récriminations qui émanent de son propre camp même.
Des hiérarques du parti présidentiel tentent de rassurer l’opinion et les chancelleries occidentales sur la nécessité de procéder à l’élection présidentielle avant les élections locales, au motif de maintenir la paix et la cohésion sociale mais l’argument ne semble pas susciter l’adhésion auprès d’une opinion convaincu de la détermination de certains lieutenants du président à conserver les leviers du pouvoir contre vents et marées.
Résultats contestés avant le scrutin
Au Cameroun, la réalité est telle que l’élection présidentielle prévue au mois d’octobre porte en elle les fleurs et nourrit les germes d’un désaveu populaire. Des raisons pour les vingt trois (23) évêques signataires de la lettre pastorale du 28 mars 2025 de réitérer, comme en 2018, l’impératif d’organiser les élections au Cameroun sur la base d’un Code électoral accepté par tous. La préoccupation est d’ailleurs portée par de nombreuses chancelleries occidentales et d’autres partenaires du Cameroun.
Autre problématique, c’est la détermination du chef de l’État sortant à briguer un énième mandat. A 93 ans, l’homme qui veut reprendre les rênes du pouvoir aura alors cent (100) ans s’il venait à consommer le huitième mandat qu’il se propose de briguer. Et ceux malgré des réserves et des contestations de plus en plus exprimés au sein même du parti présidentiel.
Autant dire que si officiellement de nombreux partenaires du Cameroun évoquent la neutralité dans la conduite des affaires internes du pays, officieusement, nombreux expriment leur désaveu vis-à-vis d’une réélection d’un Paul Biya dont les rumeurs sur son potentiel physique ne rassurent pas toujours.
Des messages ont été passé aux lieutenants de l’homme du six (06) novembre 1982. Parfois, ces messages lui ont été subtilement passé. Chez les analystes comme dans les milieux diplomatiques, il est clairement indiqué qu’il serait peu crédible pour le candidat Biya que les résultats de l’élection présidentielle lui concède un autre mandat à la tête de l’Etat.
Une éventualité, bruyamment rejetée par les proches du président qui usent et abusent de formules prétendument “rassurantes” pour dire la disponibilité du successeur du premier chef de l’État camerounais Ahmadou Ahidjo à continuer à conduire la barque Cameroun dont la structure est diamétralement opposée à celle des décennies 80 et 90.
Tensions internes au parti présidentiel
Si certains collaborateurs privilégiés du président de la République et des cadres hauts placés font officiellement l’apologie de l’homme au pouvoir à Yaoundé, il n’en demeure pas moins que, en interne, l’exaspération de nombreux militants est de moins en moins contenue par une hiérarchie jugée verticale à tort ou à raison.
Dans les chaumières et les salons feutrés de la République, nombreux parmi les militants proclamés rêvent de voir l’année 2025 donner au président l’occasion de faire ses valises pour passer le témoin.
La lettre des évêques, avec beaucoup de subtilité mais résolument, engage les formations politiques à respecter les règles et libertés démocratiques en interne. Un message subliminal adressé au parti présidentiel au sein duquel les textes peuvent être mis en berne au profit du créateur ?
Reste une réalité. Dans la perspective de l’élection présidentielle, la base du Rassemblement démocratique du peuple camerounais réclame la tenue du congrès du parti pour renouveler et, éventuellement, rajeunir le sommier du parti. Une posture qui semble irriter certains hiérarques du parti.
Il y va des membres du bureau politique et du Comité central du parti qui brandissent volontier la carte de la discipline du parti pour faire taire les voix contestataires qui se multiplient au sein du Rdpc.
Indépendance des pouvoirs.
Plus marquant est le contexte sociopolitique dans lequel se prépare l’élection présidentielle prévue au mois d’octobre prochain. Dans sa correspondance adressée aux chrétiens et aux camerounais, la Conférence épiscopale du Cameroun appelle à l’engagement de toutes les parties prenantes au processus électoral pour le déroulement des élections dans la tranquillité, la transparence et la justice. Un appel dicté par la réalité d’un environnement émaillé par des présomptions de corruption et d’interférences entre les différents constituants du pouvoir démocratique. Dans une adresse formulée lors de l’audience inaugurale de l’Assemblée nationale, l’une des doyennes de la Chambre basse du parlement camerounais a eu beau jeu d’appeler chaque acteur impliqué dans la conduite du processus à jouer franc jeu. Un appel qui a donner un écho particulier aux présomptions d’interférences et d’ingerences habituelles du système politique et électoral camerounais.
Menace sous-régionale
Quelle perspective peut-on donner au Cameroun à l’aune de la prochaine élection présidentielle qui charrie les tensions aussi perceptibles qu’enfouies? Pour sûr, les évaluations faites par diverses organisations soulignent que la détérioration du climat politique au Cameroun aurait des conséquences mathématiquement incalculables pour le pays. Mais aussi pour la stabilité de ses voisins immédiats.
Déjà en proie aux incursions des groupes terroristes et des bandes armées, le Cameroun en premier, mais aussi le Nigéria, le Tchad et la Centrafrique pourraient payer les frais des incohérences politiques du pays moteur de la sous-région Afrique centrale.