Par Serge Aimé Bikoi
L’animateur de la célèbre émission “Kanguka” s’est forgé la notoriété d’homme de Dieu pourvu, disent les fidèles, de dons exceptionnels. Des centaines de personnes témoignent avoir été guéries grâce aux prières de ce pasteur. C’est le cas d’une dame qui, il y a quelques mois, affirme avoir conçu des triplés après 16 ans d’attente. Des témoignages d’une telle essence affluent sur les plateformes numériques de Kanguka et inclinent à rechercher les causes de l’éclosion de ce phénomène.
De manière globale, l’individu est mû par la sensation de la découverte. En effet, tout être humain aime l’étrange, le fantastique, le miracle, la merveille, le bling bling, l’extraordinaire et l’extravagant. Tout ce qui est nouveau et qui sort de l’ordinaire est aimé de tous tant quiconque recherche ce qui est pourvu de bien, du bon, de l’agréable et de l’honorable. C’est après avoir été déçu par quoi que ce soit que l’on se désintéresse de telle ou de telle autre chose surtout lorsque les aspirations des uns et des autres n’ont pas été comblées. Par le passé, il y a eu des gourous ayant tenu bien de milliers de fidèles en haleine : Reinhard Bonke ; Billy Graham; TB Joshua et père Soffo avec le phénomène Malla. Aujourd’hui, c’est le phénomène Kanguka qui défraie la chronique et attire la foule nombreuse de personnes. La première force d’attraction du pasteur Chris Ndikumana réside dans le conditionnement psychologique et social des masses populaires à travers les techno médias. Ce gate Keeper spirituel attire les masses sociales non seulement sur sa page Facebook constituée de 122.000 followers à l’heure actuelle, mais aussi et surtout sur ses plateformes numériques sur playstore, sur upstore, ainsi que sur l’antenne radio kanguka.com. YouTube n’est pas en reste tant de nombreuses vidéos sont diffusées de manière prescriptive et massive.
L’on dirait une espèce de seringue hypodermique au sens de Jürgen Habermas. Ce conditionnement psychologique et social entraîne, par corollaire, la toute-puissance imparable de Kanguka sur les foules d’ici et d’ailleurs. L’on dirait un phénomène spirituel qui participe à ce que Serge Tchakotine appelle “le viol des foules”. Ce sont donc des centaines de milliers de personnes qui affluent sur les réseaux sociaux et, singulièrement, sur les dispositifs numériques téléchargeables et auxquels les internautes accordent un culte. Témoignages, prières, méditations, prédications, séances de lecture et d’explication des différents messages bibliques constituent le lot quotidien de la clientèle des antennes numériques de Kanguka. Depuis ces dernières années, le pasteur Chris Ndikumana draine des foules à la faveur des plateformes numériques grâce auxquelles il y a une socialité, une sociabilité et interactivité entre ce maître spirituel et des milliers de fidèles qui croient en la puissance des messages, des prières, des prédications et des méditations véhiculés.
Ce qui s’est donc passé le 18 novembre 2023 à Douala s’est avéré comme un test grandeur nature de ce que l’Homme est en réalité. Cet Homme est donc mû par la quête de la découverte, de la sensation et du spectacle dans la société-spectacle. Depuis des années, des centaines de personnes suivaient le pasteur Chris Ndikumana sur la toile, mais le week-end dernier, ces admirateurs et adorateurs l’ont vu, l’ont découvert, l’ont palpé et l’ont même objectivé. C’était alors la phase de l’expérimentation d’un phénomène nouveau vu seulement sur les réseaux sociaux, mais aujourd’hui chacun a pu vivre, in situ, ce qui s’est déroulé à Japoma. C’est aussi la continuité de l’expérimentation de la force des églises de réveil ayant aujourd’hui pignon sur rue et qui oppose, sans conteste, une rivalité aux églises chrétiennes dans la scénographie de l’évangélisation.
Au-delà de la force d’attrait liée à la fulgurance des réseaux sociaux, où Kanguka fait des émules, il est impérieux de relever que l’expansion de ce phénomène spirituel est liée à un contexte de misérabilisme ambiant qui prévaut dans la société camerounaise actuelle depuis des années. Au regard de la faillite des politiques publiques en matière de lutte contre le chômage, la paupérisation, la misère et le mal-être social, bien de personnes n’ont pour seul rempart que Dieu. C’est ainsi que les Hommes de Dieu exercent une attractivité à travers leurs campagnes d’évangélisation, dont l’enjeu est de distiller le message de la libération des masses populaires des formes de misères ambiantes. Sans emplois, personnes handicapées, malades, femmes ayant des difficultés de conception, catégories en proie à des problèmes mystiques, déshérités sont, entre autres, des couches sociales vulnérables et mal en poing en quête de guérison et en quête d’un mieux-être. Sur ces entrefaites, c’est le charme du spirituel qui focalise l’attention et qui séduit plus d’un surtout lorsque l’on est en face de nombreux messages et témoignages de conversion, de guérison et de délivrance de la personne humaine même si l’on se situe à la phase des représentations sociales. À cause donc de la faillite du gouvernement camerounais, à cause de l’échec des politiques publiques, à cause des mirages des décideurs politiques, les masses populaires n’ont pour refuge que l’éternel divin ou, du moins, ceux qui se réclament d’être leurs ayant-droits, tels que les pasteurs.
Ce sont ces derniers qui ont, depuis la démocratisation et la libéralisation de la vie sociale, bâti ce qu’il est convenu d’appeler l’industrie de la foi. Dans un contexte où ces gourous font un matraquage psychologique à travers les campagnes d’évangélisation dans les mass médias et sur les techno médias, ces passerelles de diffusion de leurs messages et témoignages sont un terreau perpétuel de captation de milliers de fidèles à la recherche de la résolution de leurs problématiques existentielles.
