Avec Jean Robert ONANA, laïc
Qu’as-tu fait de ton frère ? Depuis des millénaires, cette question, à laquelle doit répondre Caien suite à l’assassinat de son frère Abel, interpelle L’Eglise catholique universelle. Comme suite à donner à cette interpellation séculaire, elle tente, partout où elle se trouve, à se soustraire de la pastorale contemplative pour celle de l’action.
Je n’évoquerai pas ici la lointaine théologie de la libération au nom de laquelle le clergé sud-américain agit dans les années 70 pour bousculer l’autocratie et donner de l’espoir aux populations. Car, chez nous ici, nous avons aussi des cas pratiques de prélats engagés, toujours prêts à réagir. Tout aussi vrai qu’en tout temps, la Conférence et épiscopale nationale a toujours été un témoin actif des séquences de la vie sociopolitique au Cameroun.
Ils ont parlé au nom du peuple de Dieu
Dans les années 60, Mgr Bonneau, avait averti :
«Les appareils politiques cherchent sans cesse à emprisonner l’Eglise dans les affaires religieuses.»
Il mettait en évidence les dangers de ce christianisme, où l’on ne peut être chrétien qu’au confessionnal et dans les églises.
Dans le même sillage, Mgr Albert Ndogmo rappelle cette logique de la rupture, qui faisait dire aux apôtres :
«Nous ne pouvons pas, quant à nous, taire ce que nous avons vu et entendu.»
Ces évêques n’étaient pas des brebis égarées qui se donnaient, tout simplement, des libertés de ton en discordance avec les principes officiels de l’Eglise. Rome était déjà rentré dans le jeu depuis Mater et Magistra, et Pacem de Jean XXIII et Gaudium et Spes. C’était clairement dit qu’«il faut désormais accepter avec lucidité les problèmes sociopolitiques et économiques qui sont un défi de notre temps».
Dès la fin des années 90, Mgr Christian Tumi n’avait rien lâché depuis son élévation comme cardinal et sa nomination comme archevêque de Douala. A Yaoundé, Mgr Jean Zoa invite même le chef de l’Etat à une querelle à distance :
«Seuls ceux qui ont des lunettes voient le bout du tunnel»,
martèle l’archevêque métropolitain au cours d’une homélie sur l’esplanade de l’Hôtel de ville de Yaoundé, en mémoire des victimes de Nsam. Le prélat met en évidence la misère pour expliquer la centaine de personnes mortes calcinées à la suite de l’explosion d’une citerne à carburant, au quartier Nsam à Yaoundé. Réponse du chef de l’Etat, en octobre 1997 à Maroua :
«Il ne s’agit pas d’avoir des lunettes particulières pour voir le bout du tunnel.»
Et la Conférence épiscopale nationale ?
Dans un exposé prononcé dans le cadre d’un symposium des évêques du Cameroun et d’Allemagne, en 2008 à Edéa, Mgr Jean Mbarga nous renseigne :
«Les évêques du Cameroun ont souvent défendu une certaine vision de la vie politique.»
Au travers de leurs lettres respectives, «ils sont favorables à l’indépendance du Cameroun (1959), ils défendent l’engagement des laïcs dans la vie politique de la nation (1988), ils soutiennent le multipartisme et la démocratie (1990), ils promeuvent la conscience nationale (1991), ils défendent la paix, les droits de l’homme, l’Etat de droit, l’unité (1990), le dialogue, le dépassement des divisions (1991). Ils dénoncent le tribalisme (1996), la corruption (2000), l’insécurité (2001). Ils exhortent les citoyens à voter (2004).
Le constat est donc là : les évêques du Cameroun n’ont jamais fait dans l’indifférence, pour les grandes questions qui engagent la vie de la nation. Ils ne se contentent pas «de jouir de la liberté de culte que l’on accorde d’autant plus à l’église que son rôle doit se borner à distribuer des Visas pour l’éternité».
Je laisse parler ici l’abbé Albert Ndogmo, très mal connu jusqu’ici au Cameroun, en terme de mise au point, pour un éclairage additionnel à ce débat :
«L’Etat croit que nous devons prêcher un christianisme désincarné, parler du ciel, des anges, sans toucher les réalités vitales de tous les jours. Or, l’Evangile du Christ n’est pas une théorie, mais une vie. Elle s’insère dans toute la vie de l’homme engagé dans la famille, la politique, la profession et le syndicat» (15 janvier 1963).
Au moment où se construit une certaine littérature pour déstructurer les positions récentes des évêques de Douala, de Yaoundé, de Ngaoundéré et de Yagoua sur l’actualité politique au Cameroun, il était important de faire ces rappels, tout en relevant que le chef de l’Etat lui-même n’a jamais étouffé la parole alternative des évêques du Cameroun, dont les 3/4 des prises de position ont été faites durant son règne. Bien plus, comme en 1990, il a parfois été à l’écoute de cette autre voix, bien à l’opposé du style vénérateur des motions de soutien.