Par Léopold DASSI NDJIDJOU
Trois points au au rouge au Cameroun en attendant octobre prochain.
1) La mise à mal de l’autorité de l’Etat
Sur le territoire national, les faits hardis contre les représentants de l’Etat deviennent récurrents. La dernière en date est Mouvouldaye et Kalfou où les jeunes gens se lèvent contre les décisions prises par l’autorité administrative contre leur marché à bétail. Ce qui fait problème, est cette volonté de se dresser frontalement contre les pouvoirs publics. Il y a quelques temps à Kousseri, on a vu les élus du peuple, du même parti politique que le ministre d’État, secrétaire général à la présidence de la République (Sgpr), s’opposer frontalement à lui, lui imposant de les recevoir, faute de quoi ils démissionnent en masse du Rdpc. Le proche collaborateur du chef de l’Etat a obtempéré, avalant la pillule amère et humiliante qui lui était imposée. Bien avant, toujours dans le septentrion, la population a séquestré pour un temps le gouverneur de l’Extrême-Nord et son état major dans le Mayo Kani, en colère contre la décret de création de la réserve de Ma Mbed Mbed. Si le gouvernement n’a pas annulé le décret de création, il y a tout de même comme une marche arrière pour temporiser les choses.
Au sein de la Diaspora, on a vu sur la toile des images qui présentent un ministre de la République enfariné dit-,on par la Bas en Belgique. On pensait l’appétence de ces Camerounais de défier à ciel ouvert l’autorité de l’État était tombée. Il n’en est rien, car ces derniers qui ont perturbé à maintes reprises les séjours présidentiels en Europe, ont repris du poil de la bête. Cette situation est exacerbée par un manque chronique de la solidarité gouvernementale, car à l’observation il apparaît de plus en plus que chaque ministre joue s’il le peut, à fond la caisse son rôle, balayant tout juste devant sa porte. On a assisté il n’y a pas longtemps à une sorte d’antagonisme entre le ministère de la Santé publique et le ministère de l’administration territoriale; la critique ouverte de l’état des routes par le Délégué général à la sûreté nationale, pour ne citer que ces deux exemples. Dans les pays qui ont connu des conflits à l’exemple de la Côte d’Ivoire ou du Congo Brazzaville, l’autorité de l’Etat avait été précédemment si brocardée qu’on se demandait si on n’était pas dans le far west. Au Cameroun, l’irruption du phénomène des microbes est une indice de ce point de vue. Il s’agit des jeunes gens désœuvrés qui font fi de la loi et de la morale, en s’attaquant aveuglément aux paisibles citoyens. Un peu comme pour rappeler que nul n’est à l’abri, la presse a fait état il n’y a pas longtemps du cambriolage des bureaux à la présidence de la République, plongeant l’opinion dans la psychose.
2) Le nucléaire de la haine tribale
Le Cameroun d’aujourd’hui, à suivre les réseaux sociaux, n’est pas si éloigné de ce qui s’est passé au Rwanda entre les Hutus et les Tutsis, il n’y a que 30 ans. Alors que le génocide de près du million de Tutsis a poussé le monde dans sa globalité à jurer de ne plus jamais revivre cela, des officines au Cameroun dirait-on, sont à l’œuvre pour créer un conflit ouvert entre les Bamilélé et les Ekang. Sur les réseaux sociaux, des haineux mus par un zèle fou de tribalisme travaillent à creuser des failles d’antagonisme. Ils rôdent ça et là, à la recherche du point faible pour inoculer le venin du clash ouvert. Sur un plateau de télévision la semaine dernière, un combattant de la lutte indépendantiste, Ernest Ouandié, a été qualifié de bandit par un paneliste tout simplement parce qu’il est Bamilélé. Cette affaire agite encore la toile, créant au passage des vagues de dissensions entre les communautés. Un peu comme pour jeter de l’huile au feu, les pouvoirs publics sont silencieux face à ces dérapages, laissant le temps aux oppositions de se sédimenter.
Ce n’est pas tout. Au fur et à mesure qu’on se rapproche de la prochaine élection présidentielle, l’entente ou le consensus entre le pouvoir et les partis politiques de l’opposition, et surtout le Mrc semble impossible avec les procès exigeant à Elecam de publier la liste électorale nationale ou de la qualité à caution de certains membres du Conseil constitutionnel. Cette rupture au plan politique enflammé davantage l’antagonisme entre les communautés des leaders politiques. Ce n’est pas un vain mot si récemment à Meyo, les autochtones se sont levés contre les Camerounais dits allogènes, les accusant d’être responsables de la mort d’un des leurs. Il en est allé de même à Ngomedzap en janvier dernier où la communauté Bamoun a été pourchassée par les autochtones au motif qu’un autochtone avait été agressé. Cette peinture nue expose à quel point la haine tribale au Cameroun s’envenime avec le fait politique. A chaque parti politique, on colle une ethnie. De ce point de vue, l’Udc serait Bamoun, le Mrc Bamilélé, le Sdf anglophone, l’Undp du Nord entre autres. C’est là une photocopie de ce qu’il y a eu lieu en Côte d’Ivoire où le concept exclusif et haineux de l’ivoirité en politique a opposé les Dioula du nord aux autres ethnies du Sud, notamment les Baoulé et les Bete. C’est sur cette division que naîtra la guerre civile au pays de Houphouët Bobigny. Au Congo Brazzaville, la ligne de démarcation lors de la guerre civile se fera entre Pascal Lissouba du sud du pays avec sa milice les Zoulous et Denis Sassou -Nguesso et sa milice les Cobras.
3) La gangrène de la corruption
Le secteur le plus atteint et qui risque de sombrer le pays dans l’anarchie est le foncier..Chaque jour qui passe livre son lot de contestations ouverts de droits de propriété des terres dans les milieux urbains aussi bien dans l’arrière pays. Pour ne rien arranger, le ministre en charge du foncier s’illustre particulièrement en signant et annulant ses propres signatures au gré du vent, sans indiquer les raisons de ce yoyo. Par là, il jette les citoyens et les communautés dans le désarroi total ou suscite des oppositions. Beaucoup s’accorde aujourd’hui à affirmer que le foncier pourrait être la cause d’un conflit au Cameroun. L’élection présidentielle d’octobre prochain, à l’heure où la contestation est multiforme et précisément au niveau des institutions électorales, risque d’être une boîte de Pandore ouverte où des esprits particulièrement méchants et mauvais pourraient se dérober et de jeter sur le Cameroun. Il y a lieu dès a présent de chercher à tous les prix une sorte de consensus entre les différents acteurs qui prennent part au scrutin et de le rendre le plus inclusif possible. C’est par là que la déflagration pourrait être désamorcée comme une grenade dégoupillée, qui est refermée.