Par Léopold DASSI NDJIDJOU
Les urnes du 12 octobre jouent avec les nerfs des Camerounais. Les citoyens plus que par le passé se sont mobilisés pour exprimer leurs choix parmi les 12 candidats en lice. A date, les compilations terminées dans les différents QG des partis politiques et aussi à la Commission nationale de recensement des votes, deux prétendants au fauteuil présidentiel se dégagent: Issa Tchiroma Bakary et Paul Biya, le président en poste qui bat tous les records de longévité. En attendant que Clément Atangana, le président du Conseil et les siens disent le fin mot des urnes, les deux alliés politiques d’hier rivalisent de stratégies pou réduire au besoin l’échelle du séisme que pourrait engendrer la proclamation des résultats dans un pays fortement politisé et chauffé à blanc par les vicissitudes de la vie.
1) Le temps et la négociation ?
- En décidant de publier les résultats le 27 octobre prochain, dans trois jours précisément, l’opinion a compris la volonté du Conseil constitutionnel de temporiser le jeu entre les deux camps, de donner du temps aux uns et aux autres de prendre langue. Dans ce sillage, les médias ont déjà fait sensation en annonçant la proposition faite par Paul Biya à son ancien ministre démissionnaire de l’Emploi et de la formation professionnelle, de lui confier la Primature du gouvernement post électoral. C’est un bon signe de savoir que là haut ça discute mais les retombées ne semblent pas encore gagner la rue car après Garoua, Maroua et Ngaoundéré entrent dans la danse pour réclamer la victoire de Issa Tchiroma Bakary. Pendant ce temps, le concerné continue lui aussi de réclamer à cors et à cris la victoire. Il l’a tant et si bien fait qu’il a suggéré à Paul Biya de reconnaître sa défaite. Depuis le vote, il est toujours retranché dans sa résidence de Garoua, un bunker avec les jeunes agglutinés autour, déterminés à en découdre avec le premier venu tenté par le désir de mettre la main sur leur champion. A l’observation, quoiqu’il soit si éloigné du siège des institutions, chaque jour qui passe conforte ses prétentions de victoire dans cette partie du pays et même au-delà, même si les résultats qui ont fuité de la Commission nationale de recensement des votes le placent en seconde position. Dans les rues du septentrion, les jeunes se battent à coups de pierre contre la police et la gendarmerie, disent-ils, pour défendre leur vote. Ils ne comprennent pas comment quelqu’un d’autre en dehors de Issa Tchiroma Bakary pourrait être vainqueur. La question porte désormais sur le crédit qu’ils ont du Conseil constitutionnel. Ils se battent avec cette détermination parce qu’ils croient dur comme fer que leur héros a gagné sur l’ensemble du territoire national. Mais sur le plan légal, qui constate et dit la vérité des urnes ? Ils savent évidement que ce n’est ni les cailloux ni les pierres, mais ils continuent de se battre pour visiblement attirer l’attention du monde sur le cas électoral dans leur pays. Que fera Paul Biya, le mendiant de la paix? Déjà à Garoua, une enseignante a perdu la vie, arrachée par une balle perdue apprend-on.. Et si son challenger refusait toute proposition et s’accrochait uniquement à entrer à Étoudi, que ferait dès lors Paul Biya? Encore une fois, des sources concordantes à la Commission nationale de recensement des votes annoncent sa victoire. Le Conseil proclamera-t-il sa victoire quitte à ce qu’il use plus tard de tous les moyens politiques pour adoucir ou convaincre son adversaire? Dans trois jours, la lumière sera faite sur les intentions réelles de Paul Biya.
2) Le risque du tout militaire
Désormais, Paul Biya est plus que jamais tenu par une exigence de paix dans son pays au moment de la proclamation des résultats. S’il y a des contestations avant les résultats, la poursuite de ces soulèvements seraient plus que nocifs pour l’image du pays. La stratégie de la rue dans le camp d’en face participe effectivement de cette logique. Paul Biya l’a d’ailleurs compris en demandant aux autorités administratives d’avoir des rencontres avec les communautés dans lesquelles son challenger a été largement voté ou bien des villes où la population est généralement frondeuse.
Cet appel au calme souhaité et demandé par les autorités administratives comme on l’a aussi vu à Yaoundé, sera-t-il suffisant pour clouer les citoyens contestataires chez eux le 27 octobre ? En revanche une trop grande militarisation de la rue n’est-elle pas de nature à activer les crispations? Il y a lieu, pour le pouvoir, d’y aller avec pondération car le risque est grand de voir des citoyens tomber face aux forces en situation de légitime défense. Les résultats dans un contexte de recherche de la paix tous azimuts, ne devraient être proclamés qu’avec l’entente des deux parties. Le pouvoir devrait faire tout ce qui est en son possible pour qu’on n’arrive pas au cas ivoirien entre Laurent Gbagbo et Alllasane Dramane Ouattara en 2010. On sait comment Laurent Gbagbo a quitté le pouvoir. On sait aussi comment Ouattara est entré au palais présidentiel.
L’unique fait inoubliable est le sang ivoirien qui a coulé à flot: 3.248 morts ! Le Conseil constitutionnel ivoirien présidé à l’époque par Yao N’Dré Paul, avait d’abord désigné Laurent Gbagbo vainqueur avant de revenir plus tard après sa chute, désigner Alllasane Dramane Ouattara vainqueur de l’élection. L’heure est donc de tout faire pour éviter une très grande fracture entre les deux camps et surtout la radicalisation avec une possibilité de recourir à la force ou la violence comme seuls moyens d’expression. Avec le chômage ambiant et la précarité de l’emploi dans cette partie du pays, la main d’oeuvre pour le jet des projectiles est disponible et abondante. Il y a donc lieu, dans un tel contexte de tourner le dos à l’option militaire et d’accorder la priorité au dialogue.
3) La reconnaissance nationale et internationale
Au cas où les deux camps se livrent à un dialogue de sourd, il est à craindre que la communauté internationale pointe son nez. Si les parties ne veulent pas communiquer de manière franche et sincère, il est loisible que d’autres entités s’invitent pour aider à faire cette entente et généralement à prix d’or. Il y a lieu donc pour les différents acteurs de saisir opportunément ce laps de temps avant les résultats, pour s’accorder sur le minimum. C’est bien possible. L’élection présidentielle est une affaire camerouno-camerounaise mais si elle déborde en violence et malentendus, il est clair que d’autres viendront nous apprendre à nous comporter en démocrates à leur façon, à leur méthode et selon leur timing. Ces réalités ne devraient pas être étrangers au Conseil constitutionnel qui dira le message de vérité des urnes dans quelques jours. C’est aux dépens des nationaux que ce soit par l’influence des puissances extérieures que le chef de l’Etat arrive à la magistrature suprême. Sans jeter l’anathème sur la Côte d’Ivoire ou sur la Rdc, on peut en examinant le landerneau politique de ces deux pays, observer encore les marques indélébiles de l’assistance internationale. Cela presse donc aux Camerounais des deux camps de se surpasser pour construire dans la franchise et la sincérité, le pont vers un Cameroun. à jamais démocratique et engagé sur les rails de l’émergence.
