Par Léopold DASSI NDJIDJOU
En parcourant les réseaux sociaux en ce jour de farces autorisées, on se rend compte que les blagues les plus folles, les plus farfelues et les plus contondantes n’émeuvent pas du tout les Camerounais. Quelle que soit la dangerosité et l’improbabilité des blagues, il ne manque pas des internautes pour témoigner qu’il s’agit là des faits du quotidien, et par conséquent, rien d’anormal ou d’étrange dans le narratif des uns et des autres sur la toile. Il n’est point besoin ici de revenir sur les faits anecdotiques mais de tirer les impérieuses leçons.
On a constaté en parcourant la toile sur les poissons d’avril, que les plus grossis et les plus monstrueux sont des véritables épiphénomènes, car s’inscrivant dans le registre des faits sociaux du quotidien dans le pays de Paul Biya. “On a déjà vu ça didonc, va en brousse avec”, lit-on en boucle comme commentaires des récits à couper le souffle. A bien observer,
c’est comme si notre société était devenue insensible, castrée de toute émotion d’humanisme face à la souffrance d’autrui ou du malaise collectif. Désormais, on constate un ensauvagement à outrance dans les habitudes au quotidien, un glissement toujours plus abrupte des mœurs collectifs vers l’état de nature, où le primat de la force s’enracine, où les gros poissons mangent sans vergogne les petits. L’Etat, le Léviathan, ce monstre froid tant prôné par les idéologues des temps dépassés, est dompté allègrement par les gros poissons qui font à la fois la loi, la justice et exécutent la force des sentences. Les gros poissons sous les tropiques renvoient Max Weber à ses chères études. Lui qui avait vite fait d’affirmer que le monopole de la force légitime appartient à l’Etat westphalien. Sous les tropiques, ce privilège appartient aux gros poissons qui portent si bien le masque de l’État, le totem de ce que les Westphaliens qualifiaient de monstre froid et impersonnel. C’était bien sûr autrefois. Le monstre a été dompté.
L’Etat, animal de cirque des gros poissons
Ces gros poissons, le poison d’avril, sont le totem de l’Etat sous les tropiques. L’Etat en Afrique subsaharienne n’est pas un monstre froid. Il a des émotions, des états d’âme à l’exemple des forces tutélaires qui le transcendent, qui lui sont éthérées. L’Etat en Afrique peut être capricieux, jaloux, en colère ou garder un mutisme embarrassé devant les faits sociaux qui créent des psychoses. Ceci n’est pas une vue de l’esprit. Qu’il plaise de se souvenir de Mobutu Sesse Seko, le chef d’État zaïrois qui frappant sa poitrine et martelant le sol, déclarait à un journaliste occidental éberlué ” L’Etat, c’est moi!”. Le portrait achevé d’un gros poisson , d’un poison pour les peuples d’Afrique. Seulement, lui qui a apprivoisé l’Etat, lui qui a fait de l’Etat son pantin, avait aussi oublié une chose si simple: lui et sa cour passent, et l’Etat demeure. Quand il a été entamé par la faiblesse de la maladie, l’Etat a repris son souffle. Cela l’a été de telle enseigne qu’il quittait l’aéroport de N’djili-Kinshasa pour toujours alors que ses propres soldats tiraient sur son avion. Vous avez dit poisson d’avril et poison d’avril? Vous avez dit poisson d’avril et gros poissons ? Tout est poisson d’avril sous les tropiques , les populations étant sous la cécité des ravages des gros poissons. Mais déjà, dans les eaux, les gros poissons frétillent de stupeur car la rancoeur commence à germer dans le cœur d’une population apathique, aphone et atone, qui commence à s’interroger face aux frasques des gros poissons hautains, méprisants et autistes. Poissons d’avril et poison d’avril, tout un chapitre.