Avec le quotidien Mutations
Quelle est la différence entre résultat et tendance ?
Il faut ici préciser que les expressions n’ont pas toujours les mêmes sens et contenus suivant les disciplines scientifiques. Nous sommes en science électorale et ces deux expressions ont des significations particulières.
Aussi en matière électorale, il existe plusieurs types de résultats. Il y a notamment des résultats électoraux partiels et des résultats électoraux définitifs. Concernant les résultats partiels on distingue deux variantes : les résultats partiels d’un bureau de vote, et ceux concernant un nombre élevés de bureaux de vote dans une circonscription électorale.
Pour l’élection présidentielle, nous avons une seule circonscription électorale et par conséquent un résultat partiel d’une telle élection doit concerner une agrégation des résultats d’une portion importante des résultats obtenus dans les bureaux de vote. En espèce , on admet techniquement cette appellation lorsque ce résultat concerne environ 70% des suffrages valablement exprimés (SVE). En fait, un résultat partiel peut aussi être assimilé à une tendance en matière électorale. Ces tendances sont de nature à évoluer au fur et à mesure que les procès-verbaux des résultats enregistrés dans les bureaux de vote sont publiés comme l’impose la loi.
Est-ce que ces tendances ne sont pas sources de conflit post électoral ?
En principe, elle ne devrait pas être sources de conflit post électoral si l’on est en démocratie. En effet, en démocratie les règles structurent la dévolution du pouvoir de manière à ce qu’aucune manœuvre d’altération des résultats exprimés dans l’urne ne soit possible. Or cette condition particulière n’est pas remplie au Cameroun dès lors que le code électoral non consensuel qui régit les élections dans ce pays offre, malheureusement beaucoup de possibilités aux potentiels fraudeurs des élections (manipulation des procès- verbaux par exemple). Au regard de cette réalité structurelle, la publication des tendances est fondamentalement conflictogène car nous sommes encore plus en démocrature qu’en démocratie.
Est-ce que les médias sont habilités à publier les tendances ?
Au regard de la définition que nous avons indiqué plus haut, les tendances électorales sont des agrégations des données figurant dans les Procès-Verbaux PUBLIES. Aussi, les médias sont dans leur droit de publier ce qui est déjà public (ce qui est déjà publié dans le bureau de vote). Aucune loi ne l’interdit contrairement à ce que j’ai entendu tout un ministre déclaré. Il convient ici de distinguer l’acte de publication à celui de la proclamation des résultats. Ce dernier étant strictement encadré, seul le Conseil constitutionnel dispose de la qualité pour le faire en ce qui concerne l’élection présidentielle. Mais les médias gardent leur droit de publier les résultats déjà « rendu public » (conformément à l’article 113 du code électoral).
Il est donc illégal de vouloir interdire aux journalistes de rendre public ce qui est déjà public.
Pourquoi est-il si difficile de connaître les résultats au soir du scrutin alors que la technologie actuelle peut l’en permettre ?
Bien qu’il faille garder à l’esprit le fait que certaines localités du Cameroun soient totalement éloignées de la « civilisation » (enclavées, sans électricité, encore moins le réseau téléphonique ou internet), on n’a pas besoin de plus de 48 heures pour disposer de l’ensemble des résultats émanant de tous les bureaux de vote. L’opacité imposée par le législateur Camerounais consacre simplement une technique de fraude anticipée.
Cette extension non justifiée du délai de publication des résultats et les tentatives d’intimidation concernant la publication des « tendances » n’a pour unique but que de d’offrir du temps aux fraudeurs éventuels pour détourner les choix libres des citoyens. L’observation empirique de l’historicité des élections au Cameroun depuis 1992 nous édifie à suffisance sur cette affirmation.
Le retard accusé après le scrutin ne peut-il pas créer les soupçons de fraude et déjouer de fait la transparence tant recherchée?
Bien entendu, si dans des pays comme le Sénégal, le Ghana, le Nigeria, l’on peut avoir les résultats moins de 6 heures après la fermeture des bureaux de vote, il est rationnellement non justifié qu’il soit difficile de faire de même au Cameroun. En définitive ce retard fait peser de lourd soupçon de fraude et altère la crédibilité du processus électoral. Les tenants du pouvoir actuel, doivent éviter toute manœuvre de nature à faire plonger ce pays dans une grave crise : et cette question de prohibition sur les tendances en est un indicateur substantiel.
