Entretien avec Joseph OLINGA N.
L’opinion vous connaît à travers des actions violentes sur certains artistes, des influenceurs ainsi que des officiels Camerounais. Pouvez-vous nous définir la Brigade anti-sardinard ? Qui l’a créée ? Quel est son objectif ?
Nous récusons fermement la réduction de notre combat à des actions violentes. La BAS (Brigade Anti-Sardinards) est une mouvance de résistance citoyenne, politique et stratégique, née à la suite d’un événement fondateur : le hold-up électoral du 7 octobre 2018 au Cameroun. Ce jour-là, une large frange du peuple camerounais a pris conscience que les voies démocratiques étaient définitivement confisquées par le régime en place, et qu’il fallait inventer de nouveaux espaces d’expression, de dignité, et de souveraineté populaire. La BAS n’est pas l’œuvre d’un seul homme. Elle est le fruit d’une conscience collective, un instinct de survie nationale.
Elle est le cri organisé d’un peuple exilé de sa dignité, une réaction profonde à des décennies de peur, d’humiliation, de spoliation et d’impunité. Nos objectifs sont multiples, clairs et assumés : Dénoncer la criminalité politique du régime. Désacraliser les figures complices de l’oppression, Redonner à la diaspora une puissance stratégique, populaire et morale. Exiger et accompagner une alternance démocratique réelle. Veiller même après cette alternance, pour que plus jamais le peuple ne soit trahi. Nous sommes une force de proposition, pas seulement de dénonciation.
Nous sommes le miroir vivant de la démocratie que nous voulons pour le Cameroun. Nous incarnons, par nos structures, notre discipline et nos principes, ce que nous reprochons au système. La BAS ne fait pas que résister. Elle construit, elle veille, elle inspire.
Elle s’est consolidée, elle s’est structurée, et elle s’est immortalisée comme l’un des piliers les plus lucides, intransigeants et sincères de la lutte pour la libération du Cameroun. La BAS est née dans la blessure, mais elle agit dans la clarté. Elle n’a pas peur des vérités : elle les porte.
L’on observe que certaines personnalités séjournent en Europe sans être inquiétées alors que d’autres le sont systématiquemen. Comment cela s’explique ?
Il est vrai que certaines figures du régime camerounais continuent de circuler en Europe sans être inquiétées. Cela peut surprendre l’opinion, mais cela s’explique par plusieurs facteurs que nous assumons avec rigueur et clarté.
Premièrement, la Bas n’est pas une organisation de justiciers ni une milice de représailles. Nous sommes une force de conscience, une sentinelle politique, un écho de la douleur du peuple. Nos actions sont réfléchies, ciblées, éthiques et proportionnées. Nous n’agissons ni dans la haine ni dans l’émotion, mais dans la responsabilité. Deuxièmement, il faut comprendre que certains officiels en séjour en Europe viennent pour des raisons médicales. Et contrairement à l’image que certains veulent donner de nous, nous ne sommes pas des criminels. Nous ne nous réjouissons pas de la souffrance d’autrui. Au contraire, nous souhaitons à ces hommes et femmes de retrouver la santé. Non par compassion politique, mais pour qu’ils vivent assez longtemps pour être témoins de leur propre échec. Qu’ils vivent et voient l’alternance se faire sans eux.
Qu’ils voient un Cameroun nouveau se construire sans leur emprise. Qu’ils assistent, lucides, à la chute du système qu’ils ont nourri. Troisièmement, certains acteurs du régime, conscients de notre présence et de notre vigilance, se camouflent volontairement. Ils arrivent dans l’anonymat, évitent les lieux publics, et brouillent leurs traces. Dans ces cas-là, nous ne disposons pas toujours de repères immédiats. Mais qu’ils le sachent: nous veillons. Et tôt ou tard, la vérité les rattrapera.
Enfin, il faut rappeler que notre combat n’est pas exclusivement visible. Une grande partie de notre action se joue désormais dans les couloirs du droit international, dans les institutions européennes, dans les recours juridiques et les campagnes de pression ciblées. Nous avons appris à conjuguer la clarté du symbole avec la stratégie de fond. Nous ne frappons pas pour faire peur.
Nous frappons pour réveiller. Nous ne traquons pas pour nous venger.
Nous révélons pour libérer. Et si certains nous échappent dans l’instant, qu’ils sachent que la mémoire des peuples est patiente, mais infaillible.
L’année en cours est éminemment électorale. Quel regard portez-vous sur l’environnement politique Camerounais à six mois de la présidentielle ?
Nous abordons l’année électorale 2025 avec gravité, lucidité et une conscience historique aiguisée. Ce qui se joue n’est pas une simple échéance électorale. C’est une bataille existentielle entre le mensonge institutionnalisé et la dignité retrouvée. À six mois de l’élection présidentielle, le climat est vicié : L’organe en charge des élections, Elecam, reste inféodé au pouvoir. Les inscriptions sur les listes électorales sont biaisées, freinées, voire manipulées. L’appareil étatique fonctionne comme une machine de reconduction, non comme un garant du jeu démocratique. Mais malgré ce déséquilibre, nous refusons de céder au fatalisme. Car cette fois-ci, le peuple est différent. Il observe. Il comprend. Il s’organise.
Une nouvelle conscience est née : celle qui sait que voter ne suffit pas, mais que ne pas voter, c’est se suicider politiquement. Le régime de Yaoundé s’apprête, une fois de plus, à organiser une présidentielle à huis clos, avec les instruments de l’État détournés pour légitimer une mascarade.
Mais l’époque a changé.
Le mensonge s’use.
La peur s’érode. La Bas, avec toutes ses branches dans la diaspora, observe et alerte. Nous appelons à une inscription massive sur les listes électorales. Nous appelons les jeunes à comprendre que chaque carte d’électeur est une balle pacifique contre la dictature. Et nous nous engageons à veiller sur ce processus, à le documenter, à le dénoncer s’il déraille, à le soutenir s’il s’élève. Le vrai enjeu, ce ne sont pas les résultats que proclamera le système. Le vrai enjeu, c’est ce que le peuple décidera de faire après. Accepter ou rejeter. Se soumettre ou reconstruire.
Et cette fois, il ne pourra pas dire qu’il ne savait pas.
Quelle serait votre posture si le président Biya renonçait à présenter sa candidature pour l’élection présidentielle prévue au mois d’octobre prochain ?
Si Paul Biya renonçait à briguer un nouveau mandat, ce ne serait pas une fin en soi. Ce serait tout au plus le dernier aveu d’un pouvoir en décomposition. Depuis plus de quatre décennies, le président Biya a personnifié l’accaparement de l’État, la paralysie démocratique, et la destruction méthodique des institutions. Son départ ne règlera pas ce qu’il a lui-même contribué à fossiliser : Un système verrouillé, clientéliste et clanique, Une justice aux ordres, Une élite qui a appris à survivre en trahissant le peuple et un appareil sécuritaire conditionné à voir l’opposition comme l’ennemi intérieur. Ainsi, si Biya se retire, notre posture ne changera pas dans le fond.Car ce que nous combattons, ce n’est pas un homme. C’est un système. Et ce système, nous savons qu’il est prêt à se recycler, à se repeindre en fausse alternance, à proposer un successeur qui portera un masque plus jeune, mais les mêmes mécanismes de confiscation. C’est pourquoi nous resterons debout, vigilants, actifs.
Non pour célébrer un départ, mais pour accompagner l’éveil populaire qui doit aller jusqu’au bout : la rupture. Rupture avec l’impunité.
Rupture avec l’humiliation.
Rupture avec la logique monarchique qui a vidé la République de son sens. Nous ne cherchons pas une victoire symbolique.
Nous voulons un basculement historique.
Alors, que Paul Biya parte ou reste, la mission de la Bas demeure inchangée : veiller, éduquer, mobiliser et protéger le peuple camerounais dans sa quête d’une République réelle, digne et régénérée.
Quels sont vos liens avec le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun et son président, Maurice Kamto ?
Nos liens avec le Mrc et son président Maurice Kamto sont ceux de deux entités qui ont été, chacune à sa manière, les cibles du même système : le régime Biya. Nous reconnaissons que le Mrc a incarné, à un moment charnière de l’histoire politique camerounaise, une rupture dans le discours politique traditionnel, en s’attaquant directement au cœur du régime, en contestant les résultats de la présidentielle de 2018, et en réveillant une jeunesse longtemps désabusée.
Cependant, la Bas n’est pas un bras armé du Mrc.
Nous ne sommes affiliés à aucun parti politique. Nous sommes une force indépendante de veille, de mobilisation, de dénonciation, et de proposition. Nous avons soutenu les prisonniers politiques, qu’ils soient du Mrc ou d’ailleurs, parce que nous luttons pour les libertés fondamentales de tous les Camerounais, et non pour une étiquette ou une idéologie. Nos relations avec Maurice Kamto sont marquées par le respect, la vigilance et l’exigence.
Le respect pour l’homme de droit, pour le résistant qui a défié le pouvoir à visage découvert.
La vigilance parce que toute ambition politique doit être soumise à la critique populaire.
Et l’exigence parce que celui qui prétend incarner l’espoir du peuple doit se montrer à la hauteur d’un peuple brisé, trahi et en attente d’un vrai changement. La Bas n’est ni un marchepied, ni un instrument.
Nous sommes le peuple organisé, le peuple éveillé, le peuple debout.
Nous ne suivons pas : nous accompagnons avec lucidité.
Et nous interpellons chaque acteur de l’opposition, y compris le MRC, sur la nécessité d’une posture claire, courageuse et alignée avec la douleur réelle du peuple camerounais.
La Bas s’est opposée à la levée de fonds pour la campagne de Maurice Kamto. Quelles étaient les raisons ?
Cette affirmation est inexacte. La Bas ne s’est jamais opposée à la levée de fonds pour la campagne du professeur Maurice Kamto. Au contraire, nous avons interpellé le peuple camerounais de la diaspora et de l’intérieur à soutenir tous les candidats sincères et crédibles œuvrant pour le bien-être du peuple et pour une alternance démocratique réelle. Notre ligne a toujours été claire : la lutte contre la dictature ne peut pas être sectaire. Elle doit s’ouvrir à toutes les forces, à toutes les candidatures dignes, à condition qu’elles soient enracinées dans la douleur du peuple et portées par une vision de rupture.Nous ne jugeons pas les intentions, mais les trajectoires, les engagements et la cohérence. Ainsi, toute initiative politique visant à sortir le Cameroun de l’impasse actuelle, si elle est portée par des valeurs claires, une éthique de responsabilité et une volonté réelle de changement, peut compter sur notre soutien populaire, stratégique et symbolique. La confusion vient peut-être du fait que la Bas reste très exigeante sur les formes de mobilisation populaire, surtout lorsqu’il s’agit de financement.
Mais cette exigence n’est pas une opposition : elle est une vigilance sacrée pour que la confiance du peuple ne soit ni trahie, ni détournée. Nous ne voulons pas remplacer un régime manipulateur par une opposition désorganisée.
Nous voulons une transition puissante, structurée et alignée avec la volonté du peuple.
Comment envisagez-vous l’élection présidentielle 2025 sans la participation de Maurice Kamto ?
La question n’est pas tant celle de la participation de Maurice Kamto, que celle de la clarté stratégique de l’ensemble des forces de l’alternance.
Le peuple camerounais ne doit plus être otage d’un candidat, quel qu’il soit. Il doit désormais être acteur souverain d’un projet collectif de libération. Si un citoyen décide de ne pas se présenter à une élection, et que cela est conforme à la Constitution, nous respectons ce choix souverain. Mais si un candidat est empêché arbitrairement de se présenter, en violation des textes, nous combattrons avec toutes nos énergies cette exclusion politique. Car il ne s’agit pas de Maurice Kamto seulement, il s’agit du respect du droit de tous les Camerounais. La Bas défendra toujours l’application stricte de la Constitution. Et si celle-ci est violée pour favoriser ou écarter qui que ce soit,
ce sera le début de la révolution.
Si Maurice Kamto ne participe pas à l’élection pour des raisons personnelles, constitutionnelles ou stratégiques, cela ne sonnera pas la fin de la lutte.
La révolution ne repose sur aucun homme. Elle repose sur la conscience collective, la structuration du peuple, et la capacité à identifier une ou plusieurs candidatures portées par le peuple et enracinées dans le réel. Nous avons toujours rappelé que trois piliers fondent toute candidature légitime : Une base populaire enracinée. Une structure organisationnelle claire. Une capacité à résister à la machine du régime. Si un autre candidat répond à ces critères, il aura droit à notre soutien stratégique. Mais si la Constitution est piétinée, si des candidatures sont instrumentalisées ou interdites pour neutraliser des voix crédibles, la Bas considérera que le processus est mort-né.
Et alors, le peuple passera à une autre forme de légitimité : celle de l’insurrection populaire. La démocratie ne se quémande pas.
Elle se conquiert.
De nombreuses personnes ont déclaré leur candidature à la présidentielle. Quels sont les candidats qui retiennent votre attention ?
Notre rôle à la Bas n’est pas de commenter les candidatures comme des spectateurs.
Nous ne faisons pas de casting politique.
Nous ne cherchons pas un “sauveur”.
Nous cherchons une issue. Une rupture. Une renaissance. Par conséquent, ce qui attire notre attention, ce n’est pas un nom.
C’est un projet. Un cap. Un courage. Une cohérence.
Nous observons chaque prétendant à la magistrature suprême à l’aune de trois critères incontournables : La légitimité populaire réelle, au-delà des réseaux sociaux ou des déclarations médiatiques. La capacité organisationnelle et la clarté stratégique, car une élection ne se gagne pas par des slogans, mais par une structure solide. La volonté réelle de rupture avec le système, pas simplement un remplacement d’élite. Tout candidat qui incarne ces trois dimensions peut retenir l’attention du peuple, et donc la nôtre. À l’inverse, toute candidature motivée par l’opportunisme, l’ego, la récupération ethnique, ou la stratégie du régime pour diviser l’opposition, sera dénoncée, quelle que soit sa posture médiatique. Nous ne sommes pas là pour accompagner la comédie électorale.
Nous sommes là pour veiller à ce que la tragédie nationale cesse.
La Bas soutiendra toute dynamique sérieuse, ancrée, souverainiste et démocratique.
Et nous nous opposerons fermement à toute mascarade, à toute imposture électorale, et à toute tentative de recyclage du régime sous de nouveaux habits. Nous ne cherchons pas un président. Nous cherchons un peuple debout et un avenir possible. Celui ou celle qui saura l’incarner saura nous trouver.
Est-il possible d’envisager une transition politique au Cameroun sans violence ?
Oui. Mais cela dépendra du régime, pas du peuple. Le peuple camerounais est fondamentalement pacifique. Il aspire à vivre, à voter, à respirer librement. Ce n’est pas lui qui a choisi la violence. C’est la violence qui s’est installée au sommet de l’État. Elle s’appelle : répression, détournement électoral, corruption d’institutions, instrumentalisation de la justice, et militarisation du territoire. Nous croyons en une transition sans violence. Mais à une seule condition : que le régime accepte le verdict du peuple. Le jour où : les institutions électorales sont libérées de l’emprise du pouvoir, les candidats peuvent concourir librement, les médias reflètent la pluralité des idées, les forces de sécurité protègent le peuple au lieu de l’intimider, alors, la transition pacifique devient non seulement possible, mais naturelle. Mais si le régime persiste dans la confiscation, la manipulation, et l’intimidation,
alors il ne faudra pas accuser le peuple de se défendre. La non-violence ne signifie pas l’inaction.
Et la paix ne signifie pas la soumission. La Bas œuvre, chaque jour, pour une révolution de conscience, pas une révolution de sang.
Mais si le système veut imposer la force, qu’il sache que le peuple aussi a une force : celle de l’unité, de la mémoire, et de la souveraineté. La paix est notre choix.
Mais la dignité est notre ligne rouge. Et entre une paix de cimetière et une résistance vivante,
nous choisirons toujours la vie.
Quels types de relations entretenez-vous avec les combattants sécessionnistes ?
La Bas n’est liée à aucun groupe armé.
Nous ne finançons, n’entraînons, ni ne coordonnons aucune force sécessionniste.
Mais nous refusons aussi la stigmatisation facile, qui consiste à diaboliser tous ceux qui, face à la violence institutionnelle, ont décidé de prendre une autre voie que la nôtre. Nous comprenons d’où vient cette colère.
Nous comprenons le cri du peuple anglophone, longtemps marginalisé, méprisé, humilié, trahi —
non seulement par le régime, mais aussi par des décennies d’indifférence nationale. Nous comprenons la douleur qui mène au désespoir, et le désespoir qui pousse à la rupture.
Mais notre position est claire : nous croyons en un Cameroun uni, réconcilié, pluriel, décentralisé et juste.
Un Cameroun où l’on ne nie plus les identités, mais où on les honore. Un Cameroun fédéral, ou confédéral, mais jamais dictatorial. Nous entretenons des canaux d’écoute avec tous ceux qui souffrent. Et nous pensons qu’il est possible de faire dialoguer les douleurs, sans réduire les uns à des “terroristes”, et les autres à des “patriotes”. Tant que le régime continuera à traiter le problème anglophone par les armes, la guerre durera. Mais le jour où la vérité, la justice, et la mémoire auront droit de cité, alors le dialogue sera possible. Notre rôle n’est pas d’armer. Notre rôle est d’éveiller. Et l’éveil commence par écouter ce que le système refuse d’entendre.