Synthèse de Mon’Esse
Les fonds levés, au sein des membres de la Communauté des Etats de l’Afrique centrale (Cemac), n’ont pas donné lieu, pour l’essentiel, à des réalisations impulsant positivement les économies, selon l’analyse de l’agrégé des facultés de sciences économiques et de gestion Bruno Bekolo-Ebé.
«On croirait revenu durablement dans les années 1980-1990, donnant l’impression que nos pays n’ont tiré aucune leçon de ces années terribles qui ont été pourtant très douloureuses pour tout le corps social», constate-t-il dans une publication intitulée «l’urgence d’une prise de conscience dans l’espace Cemac !».
Revenant sur la tenue, le 16 décembre en urgence dans la capitale camerounaise, Yaoundé, d’un sommet des chefs d’État de la sous-région et les développements récents, dans les économies en général, et sur le marché monétaire et financier de la Cemac, en particulier, il s’interroge sur la capacité de cette organisation à tenir la route si devaient se poursuivre les tendances actuelles.
La tendance principale sur le marché monétaire et financier, depuis quelques années est, souligne Bruno Bekolo-Ebé, au développement des émissions de titres et obligations et bons du Trésor, une évolution elle-même la conséquence des grandes réformes engagées dans les années 1990, dans le cadre des politiques de sortie de la grave crise ayant frappé les économies de la sous-région dans les années 1980-1990, et dont les principales manifestations ont été l’apparition de profonds déséquilibres macroéconomiques touchant, sur le plan extérieur, l’ensemble des balances de paiements du fait notamment de la détérioration des termes de l’échange, d’une grave crise de la dette et des échanges, affectant le franc CFA, objet par la suite, d’une sévère dévaluation, et sur le plan interne, la chute de la production, la stagnation des économies, la baisse drastique de la croissance, avec des taux de croissance négatifs, et de lourds déficits des finances publiques.
Les émissions de titres publics se sont ainsi considérablement développées et multipliées, d’autant que, après la crise de 2008, la Banque centrale a épousé la tendance mondiale du développement des politiques monétaires accommodantes, en admettant comme collatéraux, et donc éligibles au refinancement, les titres publics détenus par les banques.
«Si, jusque-là, l’évolution a été très positive, permettant aux États de mobiliser rapidement des financements moins onéreux, il semble que s’amorce depuis quelque temps, un retournement de tendance pour le moins inquiétant, l’euphorie des débuts donnant naissance à ce qui apparait manifestement comme des dérapages annonciateurs de crises.»
Ainsi, souligne le recteur honoraire des universités publiques de Douala et de Yaoundé II, dans pratiquement tous les pays de la Cemac, les dérapages budgétaires redeviennent récurrents, donnant lieu à des déficits budgétaires toujours croissants, la multiplication des émissions des titres, obligations et bons du Trésor dont l’encours s’élève, à fin octobre 2024 à 7167 milliards CFA, faisant craindre que le marché ne se sature, d’autant que celle-ci s’accompagne de la multiplication des situations de non-respect des échéances, toute chose de nature à compromettre la santé des banques, principales détentrices des titres émis.
Plus grave, alors que la crise de l’endettement avait été totalement résorbée avec la restructuration de la dette extérieure, restructuration consacrée par l’atteinte par les différents États du point d’achèvement, la crise de la dette a resurgi, les États ayant été depuis peu, repris par une frénésie d’endettement telle que dans certains pays comme le Congo, le Gabon, l’encours tend, voire dépasse, 100% du produit intérieur brut (PIB), et les demandes de rééchelonnement sont redevenues d’actualité, alors même que la pénurie des réserves de change s’exacerbe, aggravant la contrainte extérieure.
On est pratiquement, déplore l’universitaire, dans une situation de «croissance appauvrissante», selon l’expression de l’économiste indien Bhagwati, la croissance du PIB ne s’accompagnant pas d’une amélioration significative du niveau de vie de la population, qui au contraire se détériore, donnant l’impression qu’on est revenu durablement dans les années 1980-1990, et que les pays de la sous-région n’ont tiré aucune leçon de ces années terribles ayant pourtant été très douloureuses, pour tout le corps social.
Le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad donnent ainsi, au Fonds monétaire international (FMI), l’opportunité de reprendre «la main pour imposer ses médications dont les effets sont pourtant, à l’épreuve des faits, globalement négatifs, et alors même qu’ils n’ont pas encore fini de payer le lourd tribut des hypothèques que la politique d’ajustement structurel a fait peser sur nos économies, et sur les populations dont les conditions de vie ne font que se détériorer».