Par Julie Peh
Une situation décrite par Human Rights Watch et Amnesty International comme celle d’un pays où la démocratie « tient encore debout, mais sans voix ». Les faits sont clairs , opposants emprisonnés, partis neutralisés, rassemblements interdits, plateformes restreintes. La Tanzanie, jadis citée en exemple pour sa stabilité politique, glisse aujourd’hui dans une forme de monolithisme électoral où la pluralité d’idées est perçue comme un risque, non comme une richesse. Ce scénario n’est pas isolé. Il s’inscrit dans un schéma tristement familier sur le continent , celui d’un autoritarisme électoral qui se cache derrière les urnes. Les dirigeants africains ont appris à maîtriser l’art de la démocratie d’apparat ,organiser des scrutins impeccablement encadrés, où la compétition existe sur le papier mais jamais dans les faits.
De Nairobi à N’Djamena, de Yaoundé à Dar es-Salaam, la scène est la même : un État fort, une opposition fracturée, une société civile muselée. La loi devient un instrument, la justice un outil, la peur un langage politique. On promet la stabilité pour mieux contenir le changement. Et pourtant, chaque cycle électoral sans surprise renforce une vérité dérangeante: la démocratie africaine ne meurt pas dans le chaos, mais dans la gestion. À force de verrouiller le débat, d’exclure la contestation et de transformer la politique en formalité, nos États minent eux-mêmes la confiance du citoyen.
La Tanzanie aurait pu offrir un autre visage. Héritière de Julius Nyerere, elle portait un modèle de consensus et de cohésion. Aujourd’hui, ce legs semble trahi par un pouvoir qui préfère la conformité au dialogue. Le danger, pour tout le continent, est que cette illusion démocratique devienne la norme: des élections paisibles, sans bruit, sans débat, et surtout sans enjeu. Une paix sans justice, un silence sans liberté. À l’heure où le monde scrute l’Afrique pour son dynamisme et sa jeunesse, nos dirigeants doivent se rappeler une chose simple, la stabilité n’a de sens que si elle repose sur la légitimité.
Ce cas tanzanien invite à une réflexion plus large à savoir quelle forme de gouvernance l’Afrique veut-elle pour le XXIe siècle ? Doit-elle continuer à célébrer des élections sans choix, ou aura-t-elle le courage de repenser la démocratie au-delà des urnes dans la justice, la transparence et la responsabilité ? Tant que le pluralisme sera perçu comme une menace, et non comme une richesse, le continent restera piégé dans cette boucle où l’autorité remplace la légitimité, et où les dirigeants confondent l’État avec leur propre survie politique.
L’Afrique n’a pas besoin d’élections « calmes ». Elle a besoin d’élections libres, où le peuple choisit vraiment, où la contradiction n’est pas un crime, et où le pouvoir se mérite, non par la peur, mais par la confiance.
