Par Sandra Embollo
Les agences de notation seraient-elles trop sévères vis-à-vis des pays africains ? Pour ces derniers, l’affaire est entendue : les « Big Three » – Moody’s, Fitch et S&P – évalueraient avec un biais négatif le « risque crédit » des économies africaines, autrement dit leur capacité à rembourser leurs dettes. Ce faisant, elles pousseraient les taux d’emprunt à la hausse, au point parfois de leur fermer l’accès au marché.
Le débat s’est ouvert à la faveur de la pandémie de Covid-19, alors que se multipliaient les dégradations de notes de pays africains. Il regagne en vigueur à l’heure où une partie du continent est menacée par le manque de liquidités et le surendettement.
« L’évaluation qualitative actuelle ne reflète pas fidèlement nos économies »,
s’est désolée, mi-avril, la ministre de l’économie du Sénégal, Oulimata Sarr.
Celle-ci s’exprimait en marge de la publication d’un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), selon lequel des « notations de crédit plus objectives » permettraient aux pays africains d’emprunter plus souvent et moins cher. De quoi leur faire économiser près de 75 milliards de dollars – l’équivalent de 80 % des besoins annuels d’investissements de l’Afrique –, selon les calculs du Pnud.
Sur les trente-deux pays notés par les grandes agences, seuls deux (Maurice et le Botswana) échappent à la catégorie dite « spéculative ».
« L’approche vis-à-vis de l’Afrique est très conservatrice, dénonce l’économiste sud-africain Misheck Mutize, responsable d’un projet de l’Union africaine visant à aider les gouvernements à améliorer leur notation financière. Dans le reste du monde, les grandes agences privilégient souvent le “wait and see” [attendre et voir] avant de procéder à une dégradation, tandis qu’en Afrique elles tentent de quantifier l’incertitude future en se montrant excessivement prudentes. »
« Notre métier est basé sur des faits »
Les Big Three justifient cette « prudence » par la difficulté des pays africains à lever l’impôt et à générer des recettes, les problèmes fréquents de gouvernance ou encore l’instabilité des perspectives de croissance.
« On ne peut pas dire que nous regardons le verre à moitié vide puisque notre métier est basé sur les faits : nous les examinons, nous les analysons, et c’est à partir de cela que nous émettons une opinion »,
insiste Roberto Sifon-Arevalo, responsable notations souveraines chez S&P Global Ratings.
Ce dernier en veut pour preuve le ratio entre la dette publique et les revenus de l’Etat, passé en moyenne de 150 % à 400 % du PIB entre 2013 et 2020 dans les pays subsahariens bénéficiant d’une notation.
« Il a plus que doublé, or ce genre de fait n’est pas toujours pleinement pris en compte ! ». « Je n’accepte pas que l’on dise que nous ne sommes pas équitables, a aussi déclaré, le 5 juin, Aurélien Mali, vice-président chez Moody’s, lors de l’Africa Ceo Forum à Abidjan (Côte d’Ivoire). Nous avons des notations en Afrique qui sont comparables à celles de l’Amérique latine, de l’Europe de l’Est et de l’Asie de l’Est. »