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Avec Oumar NCHARE
À travers une lecture critique de l’œuvre de Claude Ndam, notamment U Guo Ya (1989) et Pawa, cet article propose une réflexion sur la place de l’éthique communautaire dans la création artistique africaine contemporaine. En mettant en tension l’individualisme et le collectif, le griot moderne de la musique Bamoune Claude Ndam développait une pensée sociale enracinée dans les valeurs africaines traditionnelles, tout en engageant un dialogue fécond avec les problématiques sociétales modernes.
Dans le contexte postmoderne marqué par l’exaltation de l’individualisme, l’œuvre de Claude Ndam constitue un rare contrepoint. Musicien et penseur engagé, Claude Ndam a légué, à travers ses compositions, une véritable philosophie sociale de l’interdépendance. Son album U Guo Ya (1989) ouvrait un cycle réflexif sur les limites d’une trajectoire strictement individuelle, et préfigurait une pensée politique de la solidarité qui sera pleinement déployée dans ses œuvres ultérieures.
1. L’individu face à la dissolution du lien social
L’image récurrente de l’enfant seul dans U Guo Ya (où vas-tu tout seul enfant?) illustre ce que Durkheim appelait déjà “l’anomie”, ce moment où l’individu, détaché des repères collectifs, perd le sens de l’existence sociale (Durkheim, Le Suicide, 1897). Dans cette chanson, Claude Ndam interroge implicitement une société où le repli sur soi devient la norme, au détriment de la communauté. Cette tension entre l’individu et le groupe est une thématique centrale de nombreuses réflexions philosophiques contemporaines, de Charles Taylor (Sources of the Self, 1989) à Kwame Gyekye (Tradition and Modernity, 1997), qui appellent à une articulation équilibrée entre autonomie individuelle et enracinement social.
2. Une esthétique du commun : de la critique à la proposition
Avec Pawa, Sandé, Rainbow ou encore Mbu, Claude Ndam ne se contente plus d’interroger : il propose. Son œuvre devient une véritable “poétique du lien”, dans laquelle la solidarité, l’entente et la cohésion deviennent les piliers d’un vivre-ensemble renouvelé. Cette posture s’inscrit dans une logique que l’on peut qualifier de “communautarienne”, au sens où elle valorise les identités relationnelles et la solidarité intersubjective comme fondements de l’existence humaine (Etzioni, The Spirit of Community, 1993).
La pensée de Claude Ndam rejoint également celle de nombreux intellectuels africains contemporains qui militent pour une réhabilitation des valeurs endogènes africaines telles que l’ubuntu “je suis parce que nous sommes” comme base d’une reconstruction éthique des sociétés africaines (Ramose, African Philosophy through Ubuntu, 2002).
3. L’art comme médium de pensée et d’action sociale
Loin d’une simple production artistique, l’œuvre de Claude Ndam s’inscrit dans une tradition de l’artiste-griot, à la fois dépositaire de la mémoire collective et médiateur entre le passé et le présent. À l’instar d’un Aimé Césaire ou d’un Cheikh Anta Diop dans le champ littéraire et historique, Claude Ndam mobilise le médium musical pour formuler une pensée critique de la modernité africaine.
C’est ce qui justifie pleinement l’intérêt que son œuvre a suscité dans les cercles universitaires. Plusieurs de ses textes, notamment U Guo Ya et Mona, ont fait l’objet de travaux académiques au sein du Département de Lettres Modernes de l’Université de Yaoundé I, où ils sont étudiés comme de véritables textes à portée philosophique et sociologique.
L’œuvre de Claude Ndam offre une réponse originale, profondément enracinée dans les traditions africaines, à la crise contemporaine du lien social. En articulant esthétique, pensée et engagement, il propose une éthique du collectif fondée sur l’amour, la cohésion et la solidarité. Dans un monde de plus en plus fragmenté, cette œuvre apparaît comme une boussole précieuse pour repenser nos manières d’être ensemble.
La question reste ouverte : l’idéal de synergie harmonieuse que porte l’œuvre de Claude Ndam est-il encore réalisable dans nos sociétés contemporaines, ou relève-t-il d’un projet utopique ? C’est là tout l’enjeu de l’héritage intellectuel et artistique qu’il nous a légué.
