Par Conrad Moussavou
Les scénaristes de cette succession, théoriciens du chaos à leurs heures perdues, ont trouvé, en la présente absence prolongée du président hors du pays et de la rumeur timide sur sa mort, une nouvelle inspiration pour dérouler le film de la prochaine dévolution du pouvoir. Mais tout aussi improbables et loufoques que puissent être ces scénarii, ils ont une constance : Frank Biya à la tête du Cameroun après son père. Le pouvoir de la suggestion…
Cependant, un examen minutieux des plans de succession déployés révèle une absence de prise en compte de nombreux facteurs, ciment de la cohésion et de la spécificité camerounaise. L’un de ces facteurs est un profond rejet de l’actuel establishment, dont Franck Biya fait partie par filiation et dont il est un prébendier. Fort d’une maturité acquise au fil des années, forgée dans la souffrance, le mépris, les intimidations et toutes sortes de violence de l’ordre régnant, les Camerounais sont plus éveillés aujourd’hui et refusent le ticket Biya-Biya.
Autre facteur volontairement ignoré par les adeptes d’Ananké, l’absence de Frank Biya dans l’architecture institutionnelle du pays. En termes simples, Franck Biya n’occupe aucun poste dans l’appareil d’Etat. Une absence qui le disqualifie de la succession constitutionnelle du pouvoir. Pour minimiser ce handicap, les artistes de la suggestion ont élaboré un projet où Robert Nkili (c’est qui celui-là… ?), assurerait l’intérim du pouvoir pour ensuite le céder à Franck Biya. Et pour rendre cette pâtée crédible et digeste, l’intrigue a la certification de l’Elysée. Rien que ça…
Fantasmer sur un tel scénario, c’est démontrer une profonde méconnaissance des dynamiques sociopolitiques du Cameroun.
Dans le cas –improbable- où la vacance du pouvoir serait constatée aujourd’hui, et dans l’idée que le président du Sénat, successeur constitutionnel du président, serait rattrapé par son état santé précaire, ce serait le 1er vice-président, Aboubakary Abdoulaye, qui assurerait l’intérim. Difficile d’imaginer ce chef traditionnel, à la tête du plus vaste lamidat du grand Nords, s’effacer au bénéfice d’un héraut de Franck Biya. De plus, Aboubakary Abdoulaye deviendrait alors celui sur qui reposent tous les rêves des originaires du Grand Nord de reprendre le pouvoir, 42 ans après l’avoir perdu des mains d’Ahmadou Ahidjo. Ce qui s’applique à ce puissant chef traditionnel est également valable pour l’anglophone Nfor Tabe Tando, lui aussi vice-président du Sénat.
Et que dire de la certification « Elysée » dont s’affublent les ouvriers de l’idée Franck Biya. Il n’est point besoin d’être une fine mouche de la diplomatie pour voir que la France ne souhaite pas jouer de rôle dans la prise de pouvoir de Franck Biya. Paris se sait en terrain miné au Cameroun, où elle évite d’exacerber un sentiment anti-français qui se renforce au fil des ans. Dès lors, la France ne voudrait pas être mise à l’index, accusée d’avoir porté un mal aimé au pouvoir.