Par Mon’Esse
Le mutisme institutionnel, face aux nombreux cas de féminicides enregistrés ces dernières années au Cameroun, «est le résultat d’un système juridique déconnecté des réalités sociales», estime la professeure titulaire au département des sciences de gestion de l’université de Yaoundé II, Viviane Ondoua Biwolé.
Dans une étude intitulée : «Le marteau ne peut pas enterrer la vérité. Plaidoyer pour une justice équitable», cette femme de tête se penche particulièrement sur le verdict récent, «assourdissant et glaçant», rendu le 2 avril par la juge Medou Dany L’Or, du tribunal de grande instance du Wouri, condamnant à 5 ans de prison avec sursis et à une amende de 5.0000 francs le dénommé Éric Bekobo, convaincu d’avoir donné la mort à son épouse, Diane Yangwo.
En droit camerounais, constate l’universitaire, il n’existe aucune reconnaissance spécifique de la violence conjugale ou du féminicide : on parle de coups et blessures, d’homicide volontaire, d’assassinat, c’est-à-dire des catégories génériques, neutres, qui effacent le genre de la victime et la dimension systémique de la violence.
Plus qu’une «blague» judiciaire de très mauvais goût, le verdict sur l’assassinat de l’enseignante d’anglais est le symptôme d’un profond malaise, où la vérité, la dignité humaine et les droits des victimes sont parfois sacrifiés sur l’autel des procédures, des intérêts politiques ou des logiques de caste voire des pots-de-vin.
«Quand le droit est appliqué avec une telle légèreté, on est en droit de se demander si la justice camerounaise est encore capable de protéger les plus vulnérables.»
Refusant de croire que l’intime conviction, tant convoquée par certains puisse, à elle seule, suffire pour légitimer ce verdict, Viviane Ondoua Biwolé se demande si une telle décision a tenu compte du danger qu’elle présente pour l’ordre public.
Dans cette affaire, soutient-elle, tout indique que l’article 278 du Code pénal camerounais — qui prévoit une peine de 6 à 20 ans de prison pour quiconque cause la mort d’autrui par violences ou voies de fait — devait être appliqué.
«Diane n’est pas tombée. Elle n’a pas glissé. Elle n’a pas été victime d’un mauvais sort. Elle a été battue ! Et elle en est morte. Or, au lieu de juger les faits avec rigueur et cohérence, le tribunal semble s’être replié sur l’article 285, qui parle d’homicide involontaire lié à une simple négligence. Une décision qui banalise l’acte et déresponsabilise son auteur.»
Pour l’universitaire, la justice, dans le cas présent, n’a pas seulement failli, elle s’est rendue complice : «En laissant passer ce verdict, elle a envoyé un message clair : la vie d’une femme compte pour très peu au Cameroun : moins que le salaire minimum ! Et cela pose une question essentielle, presque philosophique : que vaut une justice qui oublie les morts ? Quelle crédibilité accordée finalement à un appareil judiciaire qui, au lieu de protéger, justifie, excuse ou minimise ?»
Pour l’enseignante, au Cameroun où la corruption judiciaire est un secret de polichinelle, ce verdict soulève aussi la question de l’intégrité des acteurs du système judiciaire.
Et d’appeler la justice dudit pays à faire face à ses responsabilités, à ne pas continuer à fonctionner comme une machine froide, insensible à la souffrance humaine, au nom de procédures et de l’intime conviction des juges.
Mme Ondoua Biwolé rappelle qu’en 2023, le ministère de la Promotion de la femme et de la famille (Minproff) a révélé une hausse de 22% des violences domestiques par rapport à l’année d’avant et que derrière ce pourcentage, il y a des visages, des cris, des espoirs brisés.
Et malgré l’évidence de l’urgence, aucune infraction nommée «violence conjugale» n’existe, explicitement, dans le Code pénal camerounais.