Par Félix C. Ebolé Bola
L’appel du ministre camerounais en charge de la Communication (Mincom), René Emmanuel Sadi, «à la mise en place d’un système d’autorégulation professionnelle» des médias constitue, à n’en point douter, une imposture qui ne va pas améliorer l’état du secteur.
S’exprimant le 3 mai dans la capitale du pays, Yaoundé, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, il a indiqué que cet organe «permettra aux journalistes eux-mêmes de s’organiser, afin d’assainir de l’intérieur, les pratiques professionnelles propres à leur métier».
Le Mincom a néanmoins tenu à rappeler qu’il existe un Conseil national de la communication (Cnc), régulateur public du secteur appelé à jouer un rôle majeur dans la sensibilisation des différents acteurs, et le cas échéant, dans l’administration des sanctions appropriés aux contrevenants en matière d’éthique et de déontologie professionnelles.
Si René Emmanuel Sadi en vient aujourd’hui à évoquer l’avènement probable d’un système d’autorégulation professionnelle, c’est que l’existence du Cnc viole allègrement la Charte de Munich (1971), selon laquelle «le journaliste n’accepte, en matière d’honneur professionnel, que la juridiction de ses pairs, à l’exclusion de toute ingérence gouvernementale ou autre».
«Doté d’un paysage médiatique parmi les plus riches du continent, le Cameroun n’en est pas moins l’un des pays les plus dangereux d’Afrique pour les journalistes, note le dernier rapport de Reporters sans frontières (Rsf). Les professionnels de l’information y évoluent dans un environnement hostile et précaire.»
En fonctionnement depuis 2011, le régulateur, placé sous l’autorité du Premier ministre, est connu dans le pays pour être un organe au service du pouvoir, voire des puissants du pays au point que ses arrêtés sont soit moqués, ou carrément contournés.
En 2004, rappelle-t-on, l’Union des journalistes du Cameroun (Ujc), avec l’appui du réseau canadien Liberté, avait réussi à mettre en place le Conseil camerounais des médias (CCM), un organe indépendant géré par des journalistes avec pour principe de promouvoir la liberté de la presse, l’accès à l’information, le professionnalisme et l’éthique.
Également en chargé du suivi et de la discipline des professionnels des médias et de l’arbitrage des plaintes contre les journalistes, l’organe, insidieusement combattu par les pouvoirs publics, ne survécut que quelques mois.
De même, en matière de respect des règles professionnelles, le pays dispose de pas moins de deux Codes d’éthique concurrentes en matière de journalisme : l’un, issu d’un décret du 24 septembre 1992 du Premier ministre et l’autre, adopté en 1996 par l’UJC.
Le contexte économique est, par ailleurs, à ce point vicié que beaucoup de professionnels ont préféré migrer vers d’autres métiers de la communication, toute chose qui fait reconnaître au Mincom «une insuffisance de ressources d’exploitation», annonçant au passage une série de réformes en cours, «en vue d’apporter des solutions durables à cette épineuse question».
«Les journalistes camerounais, notamment les journalistes de médias privés, renchérit Rsf, travaillent dans des conditions de précarité extrême, ce qui nuit considérablement à leur indépendance.»