Par Félix C. Ebolé Bola
Ainsi que l’annonçait notre rédaction vendredi, le gouvernement camerounais vient de mettre en service l’Application informatique de gestion logique des effectifs et de la solde (Aigles), désormais l’unique plateforme officielle de gestion des ressources humaines de l’État et de la solde dans le pays.
Selon le ministre de la Fonction publique (Minfopra), Joseph Le, cet outil aura pour rôle de centraliser et de sécuriser les données relatives aux effectifs et à la solde, mais aussi de permettre une gestion plus agile et plus transparente des ressources humaines, de manière à offrir des services publics de qualité, accessibles et répondant aux exigences des citoyens.
Ce système intégré, dont le montant n’a pas été communiqué permet, en outre, une meilleure coordination inter administrative et un suivi opérationnel plus précis et plus réactif, Aigles ayant, dès son entrée en fonction, le 1er janvier, commencé à produire des effets hautement bénéfiques pour les agents publics.
C’est ainsi, indique le Minfopra, que 176.894 personnels de l’Etat, dont les dossiers étaient en attente dans diverses administrations, ont bénéficié de la régularisation automatique des avancements de classes et d’échelons alors que 21.810 autres personnels, ne faisant pas l’objet d’une procédure disciplinaire, ont bénéficié de la même mesure, pour le compte de janvier 2025.
On voudrait bien applaudir des deux mains, pour saluer l’arrivée d’un système révolutionnaire, devant – on suppose – permettre, enfin, de mettre un terme au phénomène des fonctionnaires fictifs, jamais éradiqué depuis des décennies en dépit des gros moyens et énergies déployés.
Le 13 juin 2022, note-t-on, le même Joseph Le et la directeure générale de la Cameroon Telecommunications (Camtel), Judith Yah Sunday Achidi, signaient une convention de partenariat visant la sécurisation des données ainsi que la haute disponibilité des services fournis aux usagers du Minfopra.
L’opérateur historique des télécoms, dans le pays, s’engageait alors à mettre à la disposition de ce département ministériel des prestations allant des connexions sécurisées et redondantes à l’Internet à l’interconnexion haut débit, par liaison spécialisée en fibre optique ou radio en passant par une solution de sécurisation des données, ou encore l’accès aux services du data center de Zamengoué, situé à proximité de Yaoundé.
Ces prestations, pour un coût de 4,2 milliards de francs, devaient permettre de sécuriser le déploiement du Système informatique de gestion intégrée du personnel et de la paie de l’État de 2ème génération (Sigipes II), désormais remplacé par Aigles.
Le système porté par Camtel était, apprenait-on alors, une fusion du fichier solde de l’État tenu par le département des Finances, et celui des agents publics géré par le Minfopra, l’implémentation de la nouvelle approche étant appelée à accroître la transparence dans la rémunération des personnels de l’État.
En mai 2021, se souvient-on, le Minfopra avait déjà attribué la même prestation à la Société de l’informatique de management et de communication (Simac). Pour le même montant que celui attribué à Camtel, l’opérateur tunisien avait en effet 24 mois pour concevoir la nouvelle version de Sigipes II.
Déjà, en fin mars 2017, une prestation similaire fut confiée au cabinet Cameroun Audit Conseil-CBL Consulting pour un coût de 7,6 milliards de francs, supporté par l’Union européenne.
«Il est clairement apparu que les bases sur lesquelles reposait la première phase de ce projet d’envergure étaient particulièrement fragiles, mentionnait le même Joseph Le en fin juillet 2020. Le choix du prestataire s’est avéré peu judicieux, puisque le consortium retenu s’est disloqué avant le début de la phase opérationnelle, et l’expertise dans le domaine requis de la partie restante était sujette à caution. Sa défaillance n’aura donc pas été une surprise.»
Pour le Minfopra, le mauvais départ du Sigipes II, qui vient d’être définitivement enterré, était par ailleurs dû aux manquements d’un cahier des charges ayant cruellement souffert d’un déficit d’expertise et de vision de ses rédacteurs (sic).
Depuis le début des années 90, le gouvernement camerounais a lancé moult initiatives supposées d’assainissement du fichier solde de l’Etat, n’ayant pourtant jamais permis d’arrêter la saignée financière du fait de l’abondance des fonctionnaires fictifs.
Il en fut ainsi de «Regains», puis d’«Antilope» avant l’«Aquarium» et les Sigipes avant, en avril 2018, l’opération dite de comptage physique du personnel de l’État (Coppe) qui, selon les données du ministère des Finances, a permis dès 2019 de mettre hors-circuit environ 10.000 agents publics fictifs du fichier solde de l’État, représentant une économie budgétaire annuelle de quelque 30 milliards Fcfa.
Le 18 novembre 2024, Joseph Le annonçait la révocation de 1172 personnels relevant du Code du travail, une nouvelle vague s’ajoutant aux 1981 licenciements et 424 révocations prononcés précédemment, portant ainsi le nombre total d’agents concernés par ces mesures disciplinaires à 3577.
En fin mars 2014, à l’occasion d’un Conseil de cabinet, le Premier ministre Philemon Yang avait instruit le Minfopra «d’étudier la possibilité d’instaurer un recensement biométrique permanent des agents publics, afin de suspendre ou supprimer systématiquement les salaires consécutivement aux abandons de postes». Une prescription manifestement non suivie d’effets.
Selon des sources introduites, les circuits qui entretiennent ce phénomène – au passage très répandus au sein de l’armée – se retrouvent au cœur même du système, c’est-à-dire à l’intérieur des circuits de traitement des dossiers de recrutement et de paiement des salaires.