Par Sandra Embollo
La Presse collabore à un bilan mondial des retombées qu’ont eues les grandes fuites d’informations diffusées par l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ), dont les Panama Papers. En 2016, une source a envoyé ces 11,5 millions de documents confidentiels du cabinet d’avocats Mossack Fonseca au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, qui les a ensuite partagés avec ses partenaires mondiaux. Des dizaines de millions de plus dans les coffres.
L’enquête journalistique internationale a révélé l’ampleur d’un système de sociétés extraterritoriales créées pour des clients fortunés, dont des sportifs de haut niveau, des dirigeants d’entreprise et, surtout, des chefs d’État.
« L’Agence du revenu du Canada a effectué plus de 310 vérifications de dossiers de contribuables liés aux Panama Papers, ce qui a donné lieu à des cotisations de plus de 83 millions de dollars en impôt fédéral et en pénalités », précise le fisc. Une porte-parole explique cependant que « ces sommes n’ont pas nécessairement été recouvrées ». « Ce sont des montants que l’Agence considère comme lui étant dus », dit Sylvie Branch. Selon elle, les systèmes de Revenu Canada « ne permettent pas d’attribuer le paiement d’une facture à une source d’information spécifique ».
D’autres montants devraient s’ajouter à ce bilan, puisque « plus de 130 » autres vérifications de contribuables sont en cours, en lien avec les Panama Papers. En 2017, l’ICIJ a diffusé une autre fuite massive, les Paradise Papers – 13,4 millions de documents issus de plusieurs cabinets de services corporatifs extraterritoriaux. Elle a aussi permis à Ottawa de toucher 6,8 millions en impôts et en pénalités, et 35 autres vérifications sont toujours en cours en lien avec ces données.
Québec, qui gère son propre système fiscal pour sa portion des impôts, n’est pas en reste. Le fisc a facturé 57,5 millions en impôts et pénalités supplémentaires à des contribuables grâce aux fuites de l’ICIJ.
De cette somme, 46,7 millions ont réellement été encaissés, explique Mylène Gagnon, porte-parole de Revenu Québec. Le gros de ce montant – soit 43,3 millions – provient de divulgations volontaires : des contribuables ont eux-mêmes contacté le fisc pour se mettre en règle après la diffusion de données.
Les Panama Papers de 2016 à eux seuls ont donné lieu à 41,4 millions en nouvelles cotisations à Québec.
Pas d’accusations, neuf ans plus tard
Dans un courriel, Ottawa affirme que les « Papers » ont donné lieu à six enquêtes criminelles au niveau fédéral, mais aucune n’a permis de porter des accusations. Trois de ces enquêtes sont toujours en cours, les autres ayant été classées « sans suite ».
Les « Papers » n’ont entraîné aucune amende ou peine de prison du côté québécois non plus. Un constat décevant pour Silas Xuereb, analyste au sein de l’organisme Canadiens pour une fiscalité équitable. « Il semble tout simplement que personne ne prend ces questions au sérieux, que ce soit pour appliquer la loi, ou la modifier pour éliminer les échappatoires », dit-il.
Professeure au département de fiscalité de l’Université de Sherbrooke, Lyne Latulippe note que le fardeau de la preuve est plus élevé pour porter des accusations que pour établir une nouvelle cotisation. « Les règles pour faire une poursuite pénale sont beaucoup plus exigeantes. »
Les deux gouvernements rappellent que les données issues de fuites en elles-mêmes ne permettent pas de porter des accusations ni même d’établir des cotisations. « Il s’agit de dossiers complexes qui requièrent d’importants travaux d’analyse et de vérification », écrit Mylène Gagnon, de Revenu Québec.
Au fisc fédéral, le porte-parole Etienne Biram note que les vérifications peuvent prendre « des années » et se transporter devant les tribunaux. « De nombreux contribuables ont utilisé diverses tactiques pour retarder ou refuser de fournir les renseignements demandés. »
Impacts variables à l’international
Ailleurs dans le monde, certaines enquêtes ont fini en queue de poisson. Au Panamá, par exemple, les tribunaux ont acquitté 28 personnes, dont Jürgen Mossack, cofondateur de Mossack Fonseca.
Il était accusé de blanchiment d’argent pour son rôle présumé dans la création de sociétés-écrans utilisées au Brésil et en Allemagne. Berlin cherche toujours à le faire arrêter, sur des soupçons d’avoir mis sur pied une organisation criminelle.
Chiffre sous-estimé
Le chiffre de 1,9 milliard recouvré grâce aux Panama Papers est probablement sous-estimé, puisque de nombreux gouvernements ont préféré ne pas divulguer d’informations récentes à l’ICIJ et ses partenaires, celui des États-Unis par exemple.

Comme le gouvernement canadien, plusieurs pays n’ont pas été en mesure de déterminer la somme réellement encaissée.